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(Note de lecture) Yves di Manno et Isabelle Garron, "Un nouveau monde, Poésies en France • 1960-2010", par Florence Trocmé

Par Florence Trocmé

Antho FlamLorsqu’on prend en main cette anthologie pour la première fois, une question se pose ! Est-ce un pavé, est-ce un monstre, est-ce une somme ? On pou[rr]ait dire... oh ! Dieu ! ... bien des choses en somme....
Essayons.
En commençant par une salve de chiffres : 5 ans de travail à 2, 104 poètes, 50 ans (1960-2010) pour la période retenue, 1530 pages, 6 cm d’épaisseur, 1,3 kg, 54 pages de bibliographie, un millier de noms et 39 €.
La couverture est très emblématique du contenu du livre. En grands caractères, en haut, les noms d’Yves di Manno et Isabelle Garron. Il s’agit donc d’une anthologie composée et assumée par deux auteurs. Un titre, Un nouveau monde et un sous-titre, Poésies (avec un S, il faut le souligner, c’est important) en France • 1960-2010. Puis les noms de la collection Mille&unepages et de l’éditeur Flammarion.
Le livre est souple, lourd bien sûr, mais il s’ouvre très bien et reste ouvert, une fois posé. Il est donc facile à consulter.
L’image choisie pour cette couverture, une photo, n’est pas sans poser quelques questions : il s’agit d’une de ces grandes enseignes comme on en voit au bord des routes, aux États-Unis. Inscription en lettres lumineuses : you are now / leaving the… / CITY / OFD / REA / MS…. On ne peut s’empêcher de trouver étrange de choisir un texte en anglais pour illustrer une somme sur la poésie française de la fin du XXème et de la première décennie du XXIème siècle, même si on y découvre, plus tard, l’importance de l’influence de la poésie américaine.
L’ouvrage s’ouvre sur ce que les auteurs appellent un « Vestibule » : l’entrée dans la maison du livre avec ses nombreuses pièces et dépendances et son organisation interne. Ce sont les maîtres de maison qui font visiter leur projet, né autour de l’année 2011 du constat du manque d’une anthologie substantielle de la poésie en France lors d’une période cruciale pour son évolution. Ce « Vestibule » est un véritable petit essai, parfois un peu difficile, mais très riche et explicite quant à la démarche. Il est complété d’une « note sur cette édition », vrai mode d’emploi, qui justifie aussi certains des choix.
Le lecteur bien préparé peut alors s’immerger dans le livre et en suivre le fil, à moins qu’il aille directement consulter la grande table des matières, dont on aurait aimé qu’elle soit doublée sur un signet amovible à glisser entre les pages, tant la question de l’articulation est ici centrale.
Oui l’articulation, car on est en face d’une véritable histoire, très structurée, de la poésie pendant cette période. Une structure et un cadre construits par les auteurs soucieux de démontrer une idée forte, l’évolution cruciale de la poésie au cours de ces cinquante ans, ses mutations très profondes, son renouvellement, cette ouverture vers ce qu’ils nomment Un nouveau monde.
Si les auteurs ont retenu l’idée d’un « passage anthologique », ils ont tenu à baliser ce passage. Il y a un récit, comme un fil de chaîne et des auteurs, qui, en trame, viennent dessiner les motifs, avec leurs singularités certes, mais sur le fond contraint du récit.
Le livre avance par étapes chronologiques, ponctuées par décennies. Mais le récit est le maître d’œuvre, c’est lui qui articule le livre et les auteurs sont insérés sur ce fil conducteur.
Pour chacun des quelque 25 chapitres ou étapes du parcours, une introduction, puis les pages consacrées aux auteurs qui y sont rattachés. Pour chaque poète, une introduction qui est bien plus qu’une simple biobibliographie factuelle, une vraie présentation du poète, de l’œuvre, de son apport, de ses particularités. Et un assez large choix de textes. La typographie des textes de l’anthologie se distingue bien de celles des notes et listes bibliographiques, mais la lecture est parfois gênée par les titres courants du livre, qui viennent « lutter » avec les extraits choisis.
Pour chaque décennie, quelques poètes sont rassemblés sous une rubrique « Les Solitaires », car ne se rattachant pas clairement à tel ou tel courant, à telle ou telle aventure collective.
Il faut à ce propos souligner l’importance accordée aux mouvements poétiques et à toutes les constellations d’auteurs autour de certaines revues, comme L’Ephémère, Change ou Action poétique par exemple.
On a donc affaire ici à une véritable somme, magnifiquement pensée et articulée, à un très bel outil, à la fois histoire de la poésie au cours des décennies 1960 à 2010 et répertoire de poètes, avec pour chacun un choix substantiel de textes. Avec aussi tout l’appareil nécessaire, dont une bibliographie fouillée. Un livre utile, voire de référence pour ceux qui s’intéressent à la poésie contemporaine, qu’ils en soient déjà bons connaisseurs ou simples curieux. Aux premiers, il donne des cadres et des repères pour situer des œuvres déjà connues dans un grand flux temporel et il permettra bien sûr aussi des découvertes. Aux seconds, il servira de porte d’entrée dans ce monde, de guide de lecture.
La grande bibliographie déjà évoquée semble jouer aussi le rôle d’une séance de rattrapage. Seuls cent quatre poètes (dont les deux auteurs du livre) ont droit au traitement d’honneur, présentation et extraits. Et curieusement pour cent quinze autres environ, alors rattachés à tel ou tel chapitre, le livre donne une petite bibliographie. Lesquelles ne sont pas référencées à l’index, ce qui est regrettable, car dans un tel livre, l’index joue un rôle essentiel.
Il est toujours spécieux, devant une anthologie, de jouer au petit jeu de qui est retenu et qui ne l’est pas. Poezibao aurait voulu éviter d’y entrer. Sauf qu’une absence (il n’en sera signalé qu’une) semble tellement problématique, qu’elle en vient à jeter une ombre sur ce qui a présidé aux choix. Même si on sait que l’on est devant l’œuvre de deux auteurs qui revendiquent très clairement une subjectivité non arbitraire.
Cette absence c’est celle d’Antoine Emaz. Présent uniquement dans la session de rattrapage et par une brève allusion à sa présence dans le catalogue de Tarabuste. Pour Poezibao, spectateur et rapporteur (et non acteur) au cœur de la vie poétique, qui suit & écoute en permanence la plupart des protagonistes, auteurs, éditeurs et lecteurs, cette absence est très difficile à concevoir, tant Antoine Emaz occupe une place centrale. Par son œuvre poétique mais aussi de réflexion autour de la création et notamment de la forme en poésie et par ce qu’il est, acteur attentif et discret de tout un monde au sein de la constellation poétique. Il fallait que ce soit dit.
Florence Trocmé

Ont été repris pour cette note des éléments d’une présentation de l’anthologie à la Maison de la Poésie de Paris, ce 23 février 2017.


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