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(Carte blanche) à Claude Minière : "Poétique de Descartes"

Par Florence Trocmé

Poétique de Descartes

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Relire Descartes est passionnant.  Il ne fait pas que décrire les phénomènes et formuler des règles, il invente des images et des syntaxes.  Le lire aujourd’hui, c’est percer le mur d’indifférence qui désormais massivement l’entoure.
Il écrit des rêves, des centaines de lettres, des traités (dont plusieurs resteront inachevés).  Parfois, le titre porté par l’un de ces traités est étrange, « n’ayant aucun rapport avec sa matière » comme le notera son biographe, Adrien Baillet. Il prévient souvent son lecteur : l’ouvrage est à lire comme une fable ou comme un roman.  Pour son Traité du Monde, qui ne sera imprimé que quatorze ans après la mort de l’auteur, en 1664, il annonce : « j’ai employé de l’ombre aussi bien que des couleurs claires ».
C’est Herman Melville qui m’a remis sur la piste de Descartes.  Dans Moby Dick, un jeune marin rêveur, « panthéiste » (sic), se voit rappeler à l’ordre (à sa tâche pratique) par un compagnon plus vigilant : « While this dream is on ye, move your foot or hand an inch ; slip your hold at all ; and your identity comes back in horror.  Over Descartian vortices you hover », Le rêve t’enveloppe, mais bouge seulement un peu ton pied ou la main, lâche à peine ta prise, et dans l’horreur tu reviens à toi.  Tu tournes au-dessus de tourbillons cartésiens.  Des tourbillons ?  Oui, c’est précisément dans le Traité du Monde, quand Descartes « explique » les lois qui gouvernent les ciels et leur sortie du chaos originel.  Alors, dans une agitation « diversement et sans ordre », le mouvement des corps « est très prompt et très violent », les atomes voltigent, tout est circulaire, les éléments légers ou lourds tournoient…
Parfois le philosophe prend peur de sa hardiesse, il se montre conciliant, il dit « ne permettons pas à nôtre imagination de s’étendre si loin qu’elle pourrait » , il se ressaisit : « nous avons le pouvoir de prescrire des bornes à l’action de notre pensée ». Éprouvait-il, lui aussi, que le retour à l’identité, à la conscience de soi, à la séparation, s’effectue dans l’horreur ?
En tout cas, de l’autre côté de l’Atlantique, on a donc su que René Descartes n’était pas seulement l’homme du « bon sens ».
Claude Minière
image : René Descartes et la reine Christine, source


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