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(Note de lecture), Gérard Cartier, "Les Métamorphoses", par Antoine Emaz

Par Florence Trocmé

Cartier métamorphosesGérard Cartier ne sépare pas la poésie de son histoire ; il sait que « Nous courons à l’aventure dans la pénombre / De nos cabinets   dépeçant les poètes / Et nous en rassasiant… » (p63). En témoigne l’index final des « Hôtes » (p105 à 107) invités au « banquet », une image récurrente du livre :  plus de 70 auteurs, allant d’Homère jusqu’aux poètes d’aujourd’hui, célèbres ou moins connus, de nationalités multiples.  L’écriture de Cartier se développe sur ce fond, bien présent sans être pesant ; elle participe d’un lyrisme « classique » pour la rythmique, la métrique, les images… mais il y a tout autant un travail constant pour « multiplier les formes » (p87). Celle qui domine est le vers libre long, volontiers enjambant, non ponctué sauf des points de suspension en fin de poème, conservant les majuscules et troué de quelques blancs pour indiquer des pauses à l’intérieur du vers. Mais l’auteur peut employer la prose ponctuée, la prose non ponctuée trouée de blancs, le verset plus ou moins orthodoxe (p62 ou 56), la suite de tercets (p90), de quatrains (p95)… Parfois apparaissent des formes que l’on pourrait qualifier d’expérimentales comme celle uniquement employée page 96 : quatre paragraphes de prose seulement virgulée mais intempestivement semée de billes noires,  accompagnés dans la marge de gauche par des notes reprenant certains mots du poème. Parler de ce livre comme d’un laboratoire serait trop dire, mais l’auteur entretient une tension formelle entre reprise et surprise, unité globale et forte variation dans le détail.
On retrouve cette dynamique stable - instable dans l’organisation même du livre : les poèmes semblent souvent de circonstances, ou dans un rapport entre idée et moment vécu particulier, ou dans un glissement pensée - rêverie. Ils pourraient donc rester disparates, comme la vie, et simplement être rassemblés dans un recueil. A l’inverse, Cartier opère un strict travail de montage, d’organisation de l’ensemble : un poème liminaire, « La table », un poème isolé à l’exact milieu du livre, « La fenêtre », et un poème final, détaché, « Le carnet ». On ne peut être plus clair. Le corps du livre est constitué de 6 parties de 11 poèmes chacune. Aucun poème ne dépasse la page, et chaque partie commence par un « Banquet ». L’autonomie de chaque poème est donc sertie dans une structure rigoureuse, un projet ou un bâti d’ensemble qui pourrait être rapproché des « séries » chez Gérard Titus-Carmel.
Mais si la poésie est bien un travail formel, et s’il revient à chaque poète de trouver sa propre mesure entre tradition et invention, sa « sauvagerie » particulière (cf. p63), l’enjeu des Métamorphoses est ailleurs. C’est d’abord un chant à la vie, la poésie, le désir et le plaisir, le vin, le corps… et une méditation mélancolique sur le temps, la mort, la disparition, tant pour l’individu que pour la société, l’art. Une poésie lyrique et pensive sur la vanité de presque tout, comme dans cette « Leçon de choses » (p62) qui présente le désir illusoire de l’homme (« nous ») pour maîtriser le monde, « donner sens au chaos », sans qu’il puisse finalement « rien empêcher de nous échapper // et revenir au chaos ». On retrouve cette veine mélancolique ou désabusée dans « Méditation » (p37) ou dans l’évocation de vieux révolutionnaires maintenant « dégrisés inutiles / écoutant distraitement les leçons du passé / discours et bas faits   en scrutant sur les côtes / l’ouragan qui nous emportera   dispersant / dans un souffle notre cendre… » (p99). Dans certains poèmes comme « Autoportrait en faune » (p78) ou « Bacchanale au spectre » (p91), l’auteur semble revenir sur sa vie et chercher un rebond possible, un élan neuf vers le bonheur. Celui-ci peut renaître, même s’il est contré par le temps, la bêtise, la violence historique ; la mélancolie n’est que la fin d’un cycle, pas de l’histoire. Et il reste aussi, avec l’âge, un point d’équilibre possible : le présent, l’instant envisagé de façon épicurienne (cf. p76) : « A présent tout m’est don » (p77). De préférence les soirs d’été, « une saison éternelle » (p80), en compagnie d’ami(e)(s). Difficile de donner tort à Gérard Cartier sur ce point, surtout avec « la consolation   d’un calice   de Dolcetto d’Alba » (p92). Finalement, si la belle vignette de couverture, extraite de la série des « Memento mori » de Titus-Carmel fait écho à la part élégiaque de cette poésie, le peintre aurait pu tout aussi bien choisir dans sa série des « Jungles » pour renvoyer à l’énergie vitale et au bonheur. Le lyrisme est comme Janus : il peut porter tout aussi bien la joie, la vie retrouvée, que la détresse et le spleen. Une des réussites de ce livre tient à son refus de fermer l’angle ou de réduire la vie, la poésie. Il ne s’agit pas d’édicter une sagesse en simplifiant les choses mais de tracer un chemin possible dans la diversité des livres, des expériences et des émotions : « errer parmi les signes   les couleurs et les lignes   aussi loin   que l’on entre en soi   notre vie se reflète   et se ramifie… » (p79).
Antoine Emaz

Gérard Cartier, Les Métamorphoses, Le Castor Astral, 2017, 114 pages – 12 €


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