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Notes sur la poésie : Louis Zukofsky

Par Florence Trocmé

Un poème. Cet objet en formation — Le poème comme travail — Un classique.
Les vagues mouillées d’Homère, non pas nos vagues mouillées, mais, dans ces deux mots, assez d’associations pour rendre un contexte capable de s’étendre depuis son lieu jusqu’au présent. Parce qu’il y a, même si les significations changent, une étiquette linguistique, une archive qui peut rester claire pour nous comme image d’un contexte passé — le contexte tel qu’à l’origine il signifia — ou bien, si l’on ne peut y croire, un équilibre atteint — ou du moins le passé que nous ne pouvons même deviner, mais qui atteint un équilibre de sens déterminé par les significations nouvelles surgissant dans le mot à mot.
Un poème : un contexte associé à une forme « musicale », musicale entre guillemets puisqu’il ne s’agit pas de notes, mais de mots plus variables que les variables et employés à l’extérieur comme à l’intérieur du contexte pour une référence communicative.
Impossible de communiquer autre chose que des singularités — historiques et contemporaines — des choses, des êtres humains comme choses, leur appareillage de capillaires et de veines entrelaçant les événements, les circonstances, et s’entrelaçant avec eux. Le mot révolutionnaire, s’il doit accomplir sa révolution, ne peut se libérer d’une référence. Il n’est pas infini. Mais infini est un terme.

L’ordre, pour toute poésie, consiste à s’approcher d’un état de musique où les idées s’offrent aux sens et à l’intelligence, dénuées de toute intention prédatrice. Un dur travail, comme le savent les poètes, qui s’évertuent à réconcilier les principes contrastés des faits. Dans la poésie, le poète ne cesse de rencontrer les faits, qui semblent faire obstacle à la musique en cours de route, bien que ni musique ni mouvement ne puissent exister sans eux, sans les faits qui leur sont propres. Matière première, pour parler vite, qui attend le sceau de la forme. Les poèmes ne sont que des actes exercés sur les singularités. Et par cette seule activité ils deviennent eux-mêmes des singularités — c’est-à-dire des poèmes.

Louis Zukofsky, Un Objectif & deux autres essais, traduit de l’américain par Pierre Alféri, Un Bureau sur l’Atlantique / Éditions Royaumont, 1989, p. 18-19 et p. 23.

je remercie Tristan Hordé pour cette contribution


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