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(Anthologie permanente) Ron Padgett (en lien avec le film "Paterson"), par Jean-René Lassalle

Par Florence Trocmé

Padgett collectedCe dossier sur le poète nord-américain Ron Padgett accompagne la sortie en DVD du film Paterson de Jim Jarmusch auquel il a participé. Ce film est un des rares où un art de mass-media tente d’éclairer un art peu médiatisé comme la poésie. Paterson ne cherche pas à montrer le débat complexe de l’artiste mûr avec la condition humaine, mais plutôt le début émouvant du jaillissement de la construction de poésie en réaction à la perception immédiate et à la sensibilité au langage, chez un employé, chez un enfant, chez un rappeur débutant, dans un conte cinématographique moderne et fin. (Pour cette perspective du commencement simple de la création artistique, on peut le rapprocher du film coréen, plus tragique, Poetry de Lee Chang-Dong en 2010 où une dame âgée atteinte d‘Alzheimer décide d’apprendre à écrire des poèmes). Dans Paterson, ville et livre du poète moderniste William Carlos Williams, un jeune conducteur de bus compose des petits poèmes quotidiens à la grâce humble : ils sont en fait écrits par Ron Padgett
Rappelons alors les trois livres de Ron Padgett en français chez Joca Seria traduits par Olivier Brossard et Claire Guillot : Le Grand quelque chose, On ne sait jamais, et Comment devenir parfait.
Choses merveilleuses

Anne qui êtes morte   et que j’aimais de manière plutôt sotte
   je pense à vous souvent
buveur de l’opium chaste et doux
   oui je pense à vous
avec peu dans l’esprit
comme si j’étais devenu un idiot désarmé
   Observant gazouiller les oiseaux farfelus
   Qui habitent l’air
Et chevauchent nos ondes radio
Ainsi j’ai dormi tard ces temps-ci, sans vêtement dessus
Le sol   donc très tôt   si l’on considère le sol
Comme formé d’oiseaux qui sont en vol et je suis
Sens dessus dessous n’est-ce pas grandiose d’être grandiose
Sérieusement j’ai cette maladie (hola) psychique
   qui me pousse à faire des choses
   sans cesse et puis adieu
Droit vers les extrémités
D’un ongle manucuré
Là où c’est profond et noir    et vert   et silencieux
Où je peux aller à ma guise
M’asseoir et tapoter
   Mon front contre le coucher du soleil
Quand celui-ci enlève son uniforme
Et nous voyons qu’il est Dieu
Dieu sors d’ici
Et il s’enfuit pépiant et pouffant dans sa main
Et c’est une chose merveilleuse
   un tuba qui est pâturé de jacinthes
est une chose merveilleuse
   c’est ce que je désire faire
Vous conter des choses merveilleuses
Source : Ron Padgett : Great Balls of Fire, Holt 1969. Traduit de l’anglais (américain) par Jean-René Lassalle.
Wonderful Things

Anne, who are dead    and whom I loved in a rather asinine fashion
   I think of you often
buveur de l’opium chaste et doux
   yes I think of you
with very little in mind
as if I had become a helpless moron
   Watching zany chirping birds
   That inhabit the air
And often ride our radio waves
So I’ve been sleeping lately with no clothes on
The floor   which is very early   considering the floor
Is made of birds and they are flying and I am
Upsidedown and ain’t it great to be great !
Seriously I have this mental (smuh!) illness
   which causes me to do things
   on and away
Straight for the edge
Of a manicured fingernail
Where it is deep and dark   and green   and silent
Where I may go at will
And sit down and tap
   My forehead against the sunset
Where he takes off the uniform
And we see he is God
God get out of here
And he runs off chirping and chuckling into his hand
And that is a wonderful thing
   … a tuba that is a meadowful of bluebells
is a wonderful thing
   and that’s what I want to do
Tell you wonderful things
Source : Ron Padgett : Great Balls of Fire, Holt 1969.
/
Voyage

La petite horloge dongue la nuit sur le toit. Elle court vers le mystère de la chance. Je ne sais où ceci est caché.
Ce qui n’est pas derrière est le silence sur la face d’une plaque partageant le barillet à partir du mur. Ils prévoient de proposer une voix plus grave pour en chanter une plus aigüe.
Que la nuit notre vie pleine de morceaux de bois soit silencieuse s’écoule entre les veines.
Beaucoup de peinture retombe sur le monde intérieur. Tu es fini quand tu entends par un filtre où le bruit prête une sorte de joie à ta propre horloge.
Source : Ron Padgett, revue Poetry, 1965. Traduit de l’anglais (américain) par Jean-René Lassalle.
Travel

The little clock dings the night on the roof. It hurries toward the mystery of luck. I don’t know where these things are hidden.
What is not behind is silence on the face of a plaque dividing the barrel from the wall. They intend to propose a lower voice to sing a voice higher.
That at night one’s life full of bits of wood is silent is passing between the veins.
Much paint falls on the world indoors. You are finished hearing through a filter where noise lends a sort of joy to your own clock.
Source : Ron Padgett, revue Poetry, 1965.
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Il est presque insupportable

que les gens soient si différents de nous
chaque fois que nous levons le voile
dans lequel oscillent les lilas
et leurs yeux demeurent fixes
parmi les tournoiements et les inclinaisons
comprimées de leurs esprits comme s’ils
montaient en spirale à travers le temps
jusqu’à nous heurter et notre coupe
déborde enfin, bien qu’en soit clair
le liquide et amer son goût
à nos langues étroites. Et nous
nous réjouissons juste un instant
pour plaisanter une éternité dans laquelle
nous savons que nous ne frétillerons pas
dans la satisfaction car le voile que nous soulevons
est notre propre peau, une bâche au vent.
Source : Ron Padgett : Collected Poems, Coffee House Press 2013. Traduit de l’anglais (américain) par Jean-René Lassalle.
It Is Almost Unbearable
that people are so different from us
whenever we lift the veil
on which lilacs are shifting
and their eyes are still there
among the gyrations and flattened
slantings of their spirits, as if
spiraling upward through time
until they hit us and our cups
runneth over, though clear
is the liquid and bitter its taste
to our narrow tongues. And
we rejoice for only a moment
and joke for the eternity in which
we know we will never dart about
happily, for the veil we lift is
our own skin, a tarp in wind.
Source : Ron Padgett : Collected Poems, Coffee House Press 2013
Ron Padgett dans Poezibao:
Biobibliographie :
Extrait 1:
Interview de Ron Padgett sur le site de Joca Seria à propos de sa collaboration au film Paterson (descendre un peu et cliquer à gauche sur „Meet Ron Padgett“)
Une vidéo de Double Change sur une des lectures de Ron Padgett à Paris, ici en 2012 (bilingue)
Un texte de Christiane Veschambre sur Paterson, dans Poezibao.


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