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(Note de lecture) Nadia Porcar, "Le capital sympathie des papillons", par Anne Malaprade

Par Florence Trocmé

1. Nadia Porcar est aussi l'auteur d'un ouvrage collectif dans lequel elle s'appelle Elena Janvier, dont le titre est (Note de lecture) Nadia Porcar, Certaines expressions font froid dans le dos. On voudrait entendre " capital sympathique " quand il s'agit bien de lire " capital sympathie ", soit un concept de marketing qui, appliqué à une marque ou à une organisation, fait référence au fait que les consommateurs ou les clients puissent avoir un penchant naturel ou une prédisposition favorable à l'égard de cette enseigne sous forme d'un véritable sentiment de sympathie. Il paraît que ce capital peut favoriser la transformation et la propension à l'achat, la préférence, la fidélisation, une moindre sensibilité au prix, la recommandation... Cette notion est distincte de la notoriété. Amazon aurait un faible capital au regard de son succès alors que La Vache qui rit bénéficierait de la part d'une majorité de consommateurs d'un fort capital sympathie.
Qui aime qui ? Qui achète qui ? Qui est sensibilisé à qui ? Qui est recommandé par qui, et pourquoi, et dans quelles circonstances ? Et les papillons dans tout ça ? Il y a d'abord l'insecte à quatre ailes couvertes de fines écailles colorées, soit cet " azuré du serpolet " qui apparaît à la fin du livre de Nadia Porcar. Il s'agit d'un petit papillon au dessus bleu intense taché de noir dont l'existence est menacée. Ce dernier est inscrit sur la liste rouge des insectes de France métropolitaine. Mais il y a aussi une personne qui, se laissant tromper par des apparences brillantes, est près de tomber dans un piège. La petite fille qui dit " je " s'est brûlée à la chandelle comme un papillon, le temps de la menace n'a même pas existé, le crime n'a pas même été annoncé. La chandelle c'est le beau-père, la brûlure c'est le viol incestueux dont la violence est suggérée et déplacée dans ces deux espaces blancs ménagés au cœur du livre, qui séparent une section interne regroupant seize courtes proses. Deux textes appelés " Épiphanie " constituent ainsi une sorte de pause dans un parcours autobiographique composé de vignettes et d'images, de flashs et de souvenirs. Parcours constitué d'une série de photogrammes restituant un fil narratif chronologique malgré le bouleversement, la violence et la sidération muettes, le désordre et la transgression.
Ce fil est fait d'images drôles et tristes, de situations quotidiennes et burlesques, de personnages attachants ou effrayants, d'animaux - poisson rouge, rat empoisonné, pigeonneau attaqué - qui font s'envoler les rêves et l'imaginaire. Par quel miracle une chenille devient-elle papillon ? Et pourquoi, et comment un beau-père peut-il devenir incestueux ? C'est le monde de l'enfance, l'espace-temps d'un univers qui peu à peu va trouver les mots pour dire la joie, la surprise, l'élan, mais également le crime, la faute, l'irrémédiable. C'est le règne des noms propres et des surnoms (Nora, Aïsha, Nounou, tonton Georges, tata Mireille, le Loume), des lieux successivement traversés (Montreuil et Croix-de-Chavaux, suivis de Paris et de son boulevard Saint-Marcel), puis, progressivement, celui des noms communs et des concepts, des mythes et des légendes. L'ombre damnée du Cyclope flotte, qui peut, de son œil, jouer à méduser la petite fille qu'il surprend au moment du coucher : " Au moment de dire bonne nuit, le Loume s'était trouvé un jeu. Je le revois debout dans l'ombre, dans l'encadrure de la porte ; de loin, il ferme un œil. Sans l'aide de sa main. Sans faire de grimace. Juste, son œil tire le rideau tout seul. Portrait grandeur nature d'un être de ténèbres. Ça me terrifiait. " Cet œil est le signe originel du mal à venir : la pulsion scopique agresse une première fois l'enfant, tout en cachant derrière une paupière étrangement mobile ce même assaut.
Cependant certains mots ouvrent, la parole expose et s'impose, " Notre monde " se poursuit et renaît malgré le traumatisme. Cette discrète célébration, cette adresse à la " vie " apparaissent explicitement au terme du livre. Les proses racontaient et témoignaient. Or c'est un poème qui offre ce cadeau primultime à ses lecteurs et à toutes les petites filles ensevelies ou cachées dans leur mémoire : " les mots [...] par enchantement déclenchent en nous de/joyeux naufrages ". Le Loume n'a pas demandé pardon, sinon en offrant à sa victime une " robe rouge ". Aujourd'hui Nadia Porcar trouve dans ce petit livre rouge la force et la détermination de dire Ce que tout le monde ne sait pas et ce que je sais (1)
Anne Malaprade

Nadia Porcar, Le capital sympathie des papillons, éditions Isabelle Sauvage, 2017, 112 p., 16 euros.
Ce que tout le monde sait et ce que je ne sais pas.


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