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(Brèves de lecture), Christiane Veschambre, Silvina Ocampo et Liliane Giraudon

Par Florence Trocmé

Christiane Veschambre  ils dormentChristiane Veschambre
Ils dorment,
L’Antichambre du Préau, 2017.
Ils dorment : c’est dans ce silence, cette intimité, ce secret et ce retrait amoureux que quelque chose advient qui s’appelle poème. Jarmusch a réalisé un très beau film sorti en 2016, Paterson, double nom du « tu » : il s’agit d’une ville américaine où vécurent William Carlos William et Allen Ginsberg, et d’un personnage qui porte le nom de cette cité. Ils, c’est Paterson, et Laura, sa compagne. L’un conduit un bus, écrit des poèmes sur un carnet, boit des bières et promène son chien ; l’autre peint, cuisine, admire son amoureux, l’encourage à publier ses textes. Mais le bouledogue dévore les carnets du poète. Ce n’est cependant pas la fin de l’histoire, encore moins celle de l’écrit : plutôt un nouveau départ, grâce au don d’un lecteur voyageur qui croisera le jeune homme désœuvré. Le livre de Christiane Veschambre s’accorde à la lenteur élégante et détachée du film. Il rend grâces au long-métrage, au poème, au Japon, à la circulation des dons et des contre-dons, à la patience et à la régularité. Et s’adresse au lecteur contemplatif sous la forme d’une adresse finale qui accomplit un miracle. La perte ouvre aussi au possible.
Anne Malaprade

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Ocampo-silvina-sentinelles-de-la-nuitSilvina Ocampo
Sentinelles de la nuit
Traduit de l’espagnol (Argentine) par Anne Picard
136 p., 13€, parution le 1er février 2018
Editions des Femmes Antoinette Fouque
Sous le titre Sentinelles de la nuit voici regroupés quatre ensembles de fragments laissés par Silvina Ocampo (1903-1933), grande figure des lettres argentines, épouse d’Alfredo Bioy Casares, amie de Borges. Véritable journal nocturne, relevé de traces d’insomnie, le livre comprend Inscriptions sur le sable, Sentinelles de la nuit dont S. Ocampo disait que c’était sans doute le livre qu’elle aimait le plus, Epigrammes et Analectes. Dans Sentinelles de la nuit, dédié à Alejandra Pizarnik, on trouve des récits de rêve, des souvenirs, des idées pour des nouvelles, des considérations sur l’écriture : « Un poème perdu engendre une infinité d’autres poèmes, mais celui que nous récupérons est de pierre, et nous ne pouvons le modifier. »(p.45). Les textes brefs, de deux à vingt lignes, marqués par le désespoir mais aussi une ironie parfois cinglante, sont proposés dans une belle traduction de Anne Picard et dans une édition soignée avec toutes les précisions utiles sur les manuscrits originaux. « Qu’ils sont mélancoliques ou radieux les jours qui se trompent de saison ! » (p.19)
A noter : les Editions des Femmes Antoinette Fouque publie en même temps un CD, La Promesse, de Silvina Ocampo, lu par Florence Delay (réalisation de Francesca Isidori)
Florence Trocmé
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Liliane Giraudon  Le pistolet
Liliane Giraudon
Le pistolet
32 p. 5€
Ekphr@asis, 2017

A quoi reconnaît-on un vrai, un grand écrivain ? A ce qu’en une poignée de pages, de commande de surcroit, il peut faire surgir un monde d’une densité et d’une cohérence inouïes. Le grand écrivain, c’est ici Liliane Giraudon et on peine à croire que ce texte magnifique d’une vingtaine de pages dérive de la quête d’un pistolet (pour uriner) dans une pharmacie. C’est une balade dans les souvenirs d’enfance, Le Dernier des mohicans, le grand-père Marcel, mais aussi avec Emily Dickinson, Susan Howe, Hubert Lucot (Liliane G. et Hubert L… la lectrice ajoute à la constellation du livre Paul O.L qui n’était pas mort quand L. écrivait !). « Le temps est une épreuve de chagrin, pas un remède. ». Le grand écrivain boucle des boucles et ouvre des trappes, partout et son texte fonctionne comme un grand train d’ondes. Il est fait de petits paragraphes noués par des enchaînements puisant leur nécessité dans la puissance poétique de l’auteur qui lui permet de coudre en un dessin unique des matériaux apparemment hétérogènes. Avec un sens des résonances et des appariements qui confond. Si peu de pages, un tel réservoir d’élans : « l’art et la vie, écrit celle qui a aussi évoqué Louise Bourgeois et Marcel Duchamp. Ces liens entre choses que rien ne relie et qui constituent une irréelle réalité ».
Florence Trocmé


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