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(Note de lecture) Philippe Jaffeux, "Glissements", par Christophe Esnault

Par Florence Trocmé

Philippe Jaffeux  GlissementsEn littérature et en poésie, on pourra vouloir approcher une avant-garde, un post-modernisme, et y aller d’un dispositif peut-être pas précisément déjà maintes fois usité, on pourra nommer cela la tentative d’une proposition allant vers une recherche formelle. En 2018, il sera assez difficile en jouant sur le seul mode textuel d’être ou de se vouloir novateur, tant tout a déjà été fait et c’est conscient de cela que Philippe Jaffeux a néanmoins finalisé / achevé un texte devenu livre et livré aux rares qui voudront bien jouer. Le jeu se situe là : le lecteur travaille pour lire, tout lui est donné, mais à lui de dé/replacer des syllabes, des lettres, des hauteurs de lignes, etc… Il joue aussi à s’assurer que ses connections neuronales ne sont pas trop défaillantes. Un des vingt-six fragments du livre (p.14), mais aussi une interrogation sur les noms/prénoms récurrents du texte, m’ont causé une difficulté de lecture ; je me suis retrouvé défaillant lecteur, handicapé à savoir comprendre, saisir. Jeté dans une sphère d’incompétences. Dans le monde de l’entreprise, on m’aurait renvoyé vers la lecture de modalités d’application d’une tâche dans un monde merveilleux de logistique, de procédures informatiques, d’inscription à des formations… Est-ce donc cela ? 26 écrans ou captures d’écran, disposés à la suite dans un fichier Word. Ou une fausse piste…
Une enfant de sept ans parfaitement éveillée peut lire certains best-sellers dont il ne sera pas utile de citer le nom de l’auteur. Il y a peut-être un jeu de la valorisation narcissique à lire Jaffeux et ce livre là en particulier. La gamine comprendra tous les mots que comprennent aussi, flattés / ou rassurés, les 150 000 autres lecteurs du livre qui raconte une histoire. Être mis en difficulté, sans jamais s’y trouver, en lisant Jaffeux sera peut-être un processus même ou semblable ou inversé. Le jeu du plaisir de lire, sans le jeu du relâchement et de l’automatisme ultra rodé / ronronnant. Est-ce que les phrases devenues - extraites du chaos ! - font le même chemin que quand on les lit dans les Courants blancs et Autres courants, c’est-à-dire dans leur portée philosophique/électrique ? À vous de les vivre :
Calcite   une   de   pour   un   vacillant  
   cristallise   chute   mots   peser   vide
Pyrite   les   d'une   rongée   l'éclat   trace
   montre   dents     page   par   d'une   bizarre
Diopside   l'unité   perception   dialogue   des  
   creuse   d'une   qui   avec   accidents
Jaspe   l’opération   danse     fabriquer   graphique
   capture   d’une   pour   un
Jeu autour du nombre 26. Suites / accumulations / séries / variations / images-textes / textes-images et leurs effets. Sans l’expliciter, il s’agit pour un écrivain de redire qu’il consacre sa vie d’auteur à l’alphabet.
Dans le jeu social, on peut user exclusivement ou autant que possible du langage phatique, en lisant Glissements, en dialoguant avec l’auteur sur son texte, je n’ai plus besoin d’évoquer le givre pour poétiser l’échange sans échange. Emballer la vacuité et le jeu ouvert de la vacuité… Si elle est encore là, elle ne pèse plus. Lire Glissements, parler de Glissements me joue le jeu de la conscience au monde, à un monde d’images, monde sonore et à une esthétique de ces mondes-là. Refuser la réalité et ses logistiques / violences, c’est peut-être cela être poète. Un certain monde n’entre pas dans Glissements. On a déjà écrit / dit que l’écrivain ou l’artiste doit rendre compte ou photographier son époque. Jaffeux, lui, joue avec, pour, - et fabrique des images – 26 lettres. Jaffeux ne semble ni avoir été avalé par l’alphabet, ni être vaincu par l’alphabet, la partie qu’il a engagée quinze ans plus tôt avec lui prendra simplement fin quand il cessera d’écrire.
Ma troisième lecture du texte sera sans doute aléatoire, page ouverte ici ou là. Le texte n’est à ce jour et pour moi pas encore épuisé. C’est à cela que l’on reconnaît / distingue - peut-être - la poésie..
Philippe Jaffeux, Glissements, éditions Lanskine, 2017, 55 p., 12 €
Les Courants blancs et Autres courants sont publiés à L’Atelier de l’Agneau
Merci à François Huglo qui a rédigé à ce jour, je le crois,  le plus éclairant texte sur Glissements.


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