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(Brèves de lecture) Dominique Quélen, Lionel Richard, Olivier Domerg

Par Florence Trocmé

Dominique Quélen  reversDominique Quélen
Revers
Flammarion, 2017
122 p., 16€
Une voix parle en prose, et en phrases courtes, ou très courtes, et sur un rythme effréné et saccadé et s’exclame et s’amuse de son propre discours qui est sans queue ni tête selon les apparences pourtant d’une limpidité très étrange. Musicale et dansante, cette voix adopte un ton familier mais avec finesse et légèreté, s’adresse de façon complice au lecteur et à elle-même. L’oiseau est le motif qui court (ou vole) dans ces poèmes régis par une contrainte indécelable et tirés et liés par un fil conducteur invisible et serrés en blocs de prose composés de 11 ou 12 lignes qui ressemblent à une cage dans laquelle le poète enferme son chant pour qu’il ne soit d’envolée lyrique, parce qu’il est en proie à un enthousiasme, perceptible et à contenir pour que ça ne déborde pas. Le poème devient alors une mécanique de voix et crée sa propre liberté dans un espace restreint ; « une forme libre est fixe et cherche la fixité où on se libère » ; la « prose à définir » devient un bloc de voix qui s’amplifie au fur et à mesure du livre.
Jean-Pascal Dubost

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Lionel Richard  débris sur le rivageLionel Richard
Débris sur le rivage,
Illustration de couverture par Ordmüd.
Éditions Pétra, 2018, 164 p., 10€
Ce livre conclut une trilogie, après Marchandise non dédouanée (2002), et Terrain de manœuvre (2008). Comme les précédents, il combine poèmes et passages narratifs en prose, où cette fois un personnage imaginaire, Abel Zéfirin, notre contemporain, nous raconte – et se raconte – des histoires. Les poèmes, d’une tonalité souvent sarcastique et sombre, font écho à notre univers guère réjouissant, comme celui intitulé rayon nouveautés :
 
Même les serrures des harems
Et les ceintures de chasteté
En stock dans les ferblanteries
Ne portent plus en poinçons de garantie
Les arrière-boutiques des bazars
Comme tout le reste du toc
MADE IN THE WORLD est la marque de fabrique
De new york à vladivostok
 
C’est une voix singulière dans la poésie contemporaine. Dans le texte qui concluait Terrain de manœuvres, Lionel Richard écrivait d’ailleurs déjà : « je me sens décalé par rapport aux feux d’artifice et aux palmarès fumigènes des manifestations publiques actuelles prétendument de poésie. »
Lionel Richard commença d’abord, il y a six décennies, à publier des poèmes. Je me souviens de son livre Le Bois et la cendre, en 1959, qui lui valut le Prix Coaraze. Nous nous rencontrâmes alors autour de la revue action poétique. Par la suite il se consacra surtout à ses recherches sur la culture allemande, avec des ouvrages comme une anthologie des expressionnistes allemands, ou D’une apocalypse à l’autre, Le nazisme et la culture, et bien d’autres livres qui font désormais autorité. Sans oublier l’essai plus récent, Malheureux le pays qui a besoin d’un héros – la fabrication d’Adolf Hitler (2014). Et rappelons que c’est lui qui fit découvrir aux lecteurs français la poète Nelly Sachs, en la traduisant (Brasier d’énigmes (Maurice Nadeau, 1967). Et dans les années quatre-vingt il intervenait régulièrement au Panorama de France culture, heureux temps où cette émission était consacrée, une fois par semaine, à la poésie…
Ce nouveau livre permet donc de constater que l’essayiste et traducteur réputé n’a heureusement pas abandonné la poésie.
 
Alain Lance
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Olivier Domerg  La Sainte Victoire de trois quarts
Olivier Domerg
La Sainte-Victoire de trois-quarts
La Lettre Volée, 2018
128 p., 18€
Olivier Domerg est un décrivant qui fait bouger les montagnes, et s’animer les paysages. Par la force d’une pensée observatrice et extérieure, d’une prise en charge du texte à l’infinitif distant ou d’un « tu » générique, il objectifie pongiennement la montagne (Sainte-Victoire) (ou le paysage), mais à la notable différence avec le poète des « choses » qu’il pénètre l’objet de son poème, fait ekphrasis intérieure. S’il honnit, et parfois avec virulence, toute expression subjective, sa verve rageuse à l’égard des « paysagistes » de la croûte poétique ou peinturlurante, et son rapport conflictuel à la ferveur lyrique que peut susciter le paysage, la façon indique bien que, questionnant sans relâche ici la montagne (en un triptyque de longue haleine), c’est l’écriture poétique, qu’il questionne, et lui-même, de manière la plus impersonnelle possible, « Tu travailles une forme, la forme Sainte-Victoire », écrit-il. De près comme de loin, interroge la montagne, elle te dira qui tu es.
Jean-Pascal Dubost


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