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(Notes sur la création) Emmanuel Hocquard, Le cours de Pise

Par Florence Trocmé


Emmanuel Hocquard  Le cours de PiseLes éditions P.O.L. publient Le cours de Pise d’Emmanuel Hocquard,
dans une édition établie par David Lespiau.
« Anecdote 1. Quand j'avais huit ans, nous avions à la maison un pot de fleurs contenant une plante dont je ne connais pas le nom savant,
mais qu'on appelait fleurs de cire. Cette plante avait la particularité de ne fleurir qu'une fois tous les sept ans. Je ne l'ai vue qu'une seule fois en fleurs. C'étaient des fleurs rose très pâle qui avaient, effectivement, l'aspect et la consistance au toucher de la cire. Le principal intérêt de cette anecdote est qu'elle met en évidence la manière qu'a le langage ordinaire de rendre compte de la mesure du temps, de façon anthropomorphique. C'est-à-dire de rapporter une mesure "humaine" du temps à un végétal. Ce qui est très bizarre, quand on y pense. Dire que j'avais huit ans quand j'ai vu fleurir cette plante qui ne fleurit que tous les sept ans signifie qu'elle avait dû avoir sa précédente floraison quand j'avais un an et qu'elle ne refleurirait que sept ans plus tard, quand j'aurais eu quinze ans. Ça ne dit strictement rien d'autre.
Anecdote 2. À la même époque, on trouvait chez les marchands de jouets des fleurs japonaises en boîtes. C'étaient de petites boîtes rondes en carton, de la taille des boîtes de cachous, mais un petit peu plus profondes. Ces boîtes contenaient des boulettes de papier grisâtres, toutes à peu près identiques. Le jeu consistait à en jeter quelques-unes dans une assiette creuse ou un bol remplis d'eau. Les boulettes, qui flottaient à la surface de l'eau, mettaient un certain temps à s'ouvrir. Les unes s'ouvraient plus lentement que les autres. Au terme du processus, les boulettes grises se trouvaient transformées en fleurs de papier plates qui étalaient leurs pétales, peints de différentes couleurs et de motifs délicats, à la surface de l'eau.
J'ai souvent comparé à ces fleurs japonaises le processus par lequel une idée passe de l'état de boulette grise à celui de fleur en papier dépliée. Écrire implique un déploiement du même ordre. On pourrait ici forger le néologisme dépliement, ou parler d'explication au sens où Mallarmé parlait d'expliquer (déplier, ouvrir) un éventail. Quand je vous dis que vous savez tous écrire, c'est cela que je veux dire. Toutes vos boulettes grises sont là, qui ne demandent qu'à s'ouvrir. Mais pour cela il faut du temps, votre temps, de la concentration, de la vigilance et le plus de précision possible. »
Emmanuel Hocquard, Le cours de Pise, P.O.L., 2018, 624 p., 23,90€, p.150 et 151.


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