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(Anthologie permanente) Anna Jackson (un dossier de Luc Arnault)

Par Florence Trocmé

I_Clodia_coverTrois traductions inédites de poèmes de la poète néo-zélandaise Anna Jackson (dossier préparé et traduction Luc Arnault).
Un dieu à sa façon

Je suis Sappho, comme tu aimes dire – c’est toi, non,
le corps brûlant, cœur qui tonne, les yeux aveugles,
tympans qui sonnent, enfin muet, plus un mot
pour d’autres baisers,
toute ton attention sur un autre, pas sur moi
mais sur lui, qui sait me parler, qui, quand tu
files chez toi, sera, tu supposes, rien qu’à moi,
mari oublié…
Ce répit est louable ! Je remplirai mes
strophes pendant que, pour une fois, tu te tairas
stylet baissé, tes doigts, j’espère, inactifs,
papier non souillé…
Qui sait commander une pause si douce
me semble un dieu à sa façon ! Si j’étais
moins comme Sappho, mais plus fille, je penserais
que c’est ça, l’amour…
A God in his Way

I am Sappho, you like to say – it’s you, though,
body burning, thundering heart, your eyes blind,
ear drums ringing, who’s mute at last, no more talk
leading to kisses,
all your focus on someone else, not on me
but on he who can talk to me, who when you
drift off homewards will, you suppose, be all mine,
husband forgotten…
This respite is something to praise! I’ll fill my
stanzas up while you can be silent for once,
pen laid down, your fingers, I trust, not working,
paper unblotted…
He indeed who can command such a sweet pause
seems to me a god in his way! If I were
less like Sappho, more of a girl, I might think
love is what this is…

Anna Jackson, I, Clodia, and Other Portraits, 2014, AUP, traduit de l’anglais néo-zélandais  par Luc Arnault
/
Takahē

Depuis le temps,
c’est étrange
de les retrouver
non pas disparus
après tout, petites
familles
transmettant l’art
de la survie,
père et mère
professant
les subtilités
de manger
tussock, fougère,
comment
tenir ces mets
sur un pied.
Son bec, point
d’exclamation
rouge, le takahē
sait trouver
la cosse douce
connaissant tout
du rude extérieur,
quoi manger
de quoi
laisser:
regarde-moi manger
la cosse de tussock
si sucrée
et si froide.
C’est juste pour dire,
takahē.
Takahē

For so long gone,
how strange
to find them again
not extinct
after all, small
families
passing on skills
for survival,
mother and father
teachers
in the intricacies
of tussock eating,
fern rooting,
and how
to hold food
with a foot.
Its beak a red
exclamation
mark, the takahē
shows how to find
the sweet core
through knowing
the tough exterior,
what to eat
through what
to leave:
watch me eat
the tussock core
so sweet
and so cold.
This is just to say,
takahē.  

Anna Jackson, The Pastoral Kitchen, 2001, AUP, traduit de l’anglais néo-zélandais par Luc Arnault
/
Cheveux salés
Le matin mon oreiller est trempé jusqu’aux
draps. Je dois essorer
le sel de mes cheveux avant
de pouvoir lever la tête
et boire cinq tasses de café
avant de pouvoir parler – mais quand j’ouvre
la bouche un océan se déverse
de mes yeux. Je sais exactement
ce que les glaciers doivent ressentir
quand arrive le printemps, quand tout lâche
de l’intérieur, quand tous
ces centimètres durement gagnés fuient
d’un coup dans la mer,
et la mer, oh je sais ce que
la mer ressent, elle qui avale, avale et
avale encore tout ce qui coule sur elle, pas d’espoir
de calme plat quand tout déborde, quand ton
intérieur chavire sans cesse
et s’échoue sur chacun
de tes rivages.
Tu voudrais que le rivage s’en aille.
Mais merci quand même, c’est bien aimable,
de m’avoir tendu tes sables.
Salty Hair
In the morning my pillow is wet through
to the sheets. I have to wring out
the salt from my hair before
I can lift my head
and drink five cups of coffee
before I can speak – but when I open
my mouth an ocean pours out
from my eyes. I know
just how glaciers must feel
when spring comes on, loosening
from the inside out, leaking all
those hard-won centimeters
out in a rush to the sea,
and the sea, oh I know how
the sea feels, swallowing more and more
with more still coming at it, not a hope
of lying still when you are overflowing, your
own insides turning themselves on each
and every shore.
You wish the shores would go away.
But thank you, all the same,
for holding out your sands.

Anna Jackson, Thicket, 2011, AUP, traduit de l’anglais néo-zélandais par Luc Arnault.
Traductions inédites, dossier conçu et réalisé par Luc Arnault.
bio-bibliographie d’Anna Jackson


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