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(Note de lecture) Gwen Garnier-Duguy, "Alphabétique d’aujourd’hui", par Pascal Boulanger

Par Florence Trocmé

14032018-DSC_8370Tandis que les esthétiques du silence et du vacarme se confondent, Gwen Garnier-Duguy poursuit son œuvre poétique en occupant toutes les faces, visibles et invisibles, nocturnes et solaires, qui s’inscrivent dans la chair du réel. Avant tout, il y a la confiance dans la parole parlante, source d’énergie dans laquelle se succède une foule d’images, d’épiphanies, qui cristallisent l’instant vécu et médité. Dans ce recueil, la succession des versets prend appui sur un mot dont la première lettre suit l’ordre d’un alphabet qui inaugure le poème. Le verset-projet s’inscrit, par conséquent, dans l’architecture d’un paysage du tout ; il part du détail et du concret pour atteindre un bâti, « comme le projet des fougères c’est la forêt ».
Toute la question est de savoir si, en s’accroissant, les choses que l’on traverse ne risquent pas de perdre leur esprit d’enfance retrouvé à volonté. Car la santé, comme la logique d’enthousiasme, bute sur « la prostitution publicitaire », sur l’insignifiance, sur « le spectacle ennuyeux de l’éternel péché » (Baudelaire), qui consiste à se compromettre avec la puissance de mort aggravée qui caractérise, dorénavant, nos sociétés postmodernes. Néanmoins, pour Garnier-Duguy, « le vieux fond chrétien qu’on voudrait oublier sonne encore à nos oreilles ». Sans doute, à l’oreille de quelques rares écrivains qui ne désirent pas prospérer dans la fabrique du remodelage humain. Un poète du sensible chrétien comme Garnier-Duguy sait qu’il faut payer sa dette, et il la paie en se mettant à l’écoute d’une parole qui parle toujours au-delà d’un horizon replié « ne laissant plus apparaître sur le sable des finistères que défaite et nostalgie et mélancolie et tristesse. » Il paie sa dette au père, garant de la loi du langage, en lui rendant certaine sa survivance, à travers, par exemple, le simple passage et le bel envol d’un geai :
« (…) Aujourd’hui je suis allé au cimetière, sur la tombe de mon père (…)
Cette impression que tu me vois, que tu es avec moi, que tu te préoccupes du bien-être de ta famille.
N’est-ce-pas toi qui donnes signe quand un geai, mon favori d’entre tous les oiseaux que tu nourrissais en ton jardin des dernières années
se pose près de ton nom avant d’emporter mon regard dans son envol sur le revers du ciel ? »
Un poète, attaché à la manifestation de la vie, ne considère pas que les mots ont une réalité suffisante pour imposer une combinaison imaginaire. A l’inverse, il respire dans l’instant en convoquant tous les temps afin de creuser l’imaginaire du poème. Ainsi, jamais rien ne manque et pourtant le manque est ressenti. Ou plus précisément, c’est la guerre qui est ressentie et traversée, celle, d’abord sémantique, qui ne nomme plus le réel mais impose ses normes et ses mensonges. Puis celle, mercenaire et bien réelle, de la techno-science qui favorise la montée aux extrêmes à l’heure où les deux nihilismes (le passif et l’actif) s’unifient. Meurtres, attentats… l’homme occidental passivement consentant n’est-il pas devenu l’effigie vivante de la référence haïe ?
La poésie du politique semblait moribonde après l’échec du poème partisan. Garnier-Duguy sait parfaitement bien qu’on impose aujourd’hui l’horizontalité de la série et du nombre au détriment de la verticalité de l’œuvre qui toujours s’ouvre au duel fécond avec l’héritage. Le poème politique ici noue un rapport charnel et métaphysique avec la vérité. Il s’agit alors de se tenir éloigné d’une époque qui a déclaré la guerre à ses artistes et à ses penseurs et de se tenir dans un lieu qui entre dans la gravitation joyeuse de tous les possibles dévoilés :
« Joie du matin, la feuille est blanche, tout est possible, tout est pensé, rien n’est encore monté de l’informe, la guerre véritable se joue ici puisque le monde n’existe pas. »
Un poète de cette trempe échappe au désir mimétique et à la rivalité qui en résulte, il est trop inactuel pour aliéner sa liberté de parole.

Pascal Boulanger

Gwen Garnier-Duguy : Alphabétique d’aujourd’hui, huile de Roberto Mangu, L’atelier du Grand Tétras, 12€.


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