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(Note de lecture) Marc Alyn, "Le temps est un faucon qui plonge", par Béatrice Bonhomme

Par Florence Trocmé

Marc Alyn  Le-temps-est-un-faucon-qui-plongeDeux épigraphes de Goethe et de Proust, comme deux ailes, ouvrent le livre, ne nous cantonnant pas à la nostalgie d’un passé, mais le ressaisissant comme cadeau de vie pour la présence et pour l’avenir.
Plus qu’une autobiographie, le livre se présente comme la quête initiatique de « l’enfant de poésie » qu’a été le poète, sorte de cheminement pour découvrir les sentiers de la création et ce qui a déterminé cette curieuse vocation d’être poète. Ce genre particulier des Mémoires dépasse ici, très largement, l’anecdotique pour plonger dans la formation imaginaire d’un enfant contemplatif qui pose sur le monde le regard du voyant. Des bonheurs d’écriture jalonnent ce retour vers le mouvement sacré d’une vocation, véritable témoignage sur les étapes d’une architecture, celle d’une œuvre en poésie, celle d’un destin de poète.
Un titre énigmatique, Le temps est un faucon qui plonge, mémoires. Le dieu égyptien à tête de faucon, Horus, rapace qui fond sur ses proies terrestres, « faucon pèlerin volant à la verticale du site Byblos, entraînant au zénith une proie en laquelle se reconnait un serpent qui se convulse et trace d’étranges motifs dans le ciel. » Sur les hauteurs de Byblos, le poète se rencontre lui-même. L’instant fulgure. L’éternité ne fait pas son âge aujourd’hui. Les vers de Pierre Jean Jouve hantent la mémoire :

« Sur les monts incendiés de quelque Liban
Se tiendront mes lecteurs étranges et profonds »
Titre lié aussi par des liens secrets à la révélation, cette rencontre au Liban avec Nohad Salameh avec laquelle le poète fait le signe d’une entente passionnée et dont la présence illumine sans offusquer l’ombre : « soudain levant les yeux j’ai vu tous tes visages ».

« Peut-être, ayant rêvé, seconde après seconde, notre vie, serons-nous quelque jour vécus par notre rêve ». C’est par le feu que commence le premier chapitre « Le baptême du feu », incendie en 1942 de l’église Saint-Maurice à Reims, dont le clocher surplombe la maison natale du poète. Alors qu’il a cinq ans et qu’il contemple avec son frère Claude de 14 ans, l’apocalypse du feu, ce flamboiement lui semble, non le fait d’un sabotage de l’occupant allemand mais le résultat magique de la main gantée de Fantômas. L’imagination se laisse saisir par cet extraordinaire spectacle que l’auteur retrouvera plus tard dans le tableau de Magritte Fantômas ou le retour des  flammes peint en 1943 où se donne à voir l’insaisissable prince de l’épouvante. De Fantômas aussi le choix de ce pseudonyme Marc Alyn, transformation des deux prénoms du poète Marc et Alain, allusion à Marc Allain qui obsède alors la mère de l’auteur, Elise ou Lili,  lectrice passionnée de Fantômas.
Quelques péripéties accompagnent la venue au monde du poète né le 18 mars 1937 sous le signe des Poissons comme Caligula ou Mallarmé ...  L’auteur nous rappelle sa généalogie, nous présente son père Georges Fécherolle né en Ardenne et ses grands-parents Camille et Aline. Il dessine, en quelques traits, la mère d’Elise, belle dame chapeautée et gantée, partie un jour pour d’autres destins et s’évaporant en abandonnant sa fille, ne laissant derrière elle d’autre trace que son parfum.
Depuis l’évocation des deux guerres mondiales, le poète retrace l’histoire familiale tributaire de la grande Histoire. Il se revoie à l’âge de 3 ans et 3 mois dans les marées humaines de l’exode et précocement comprend que « l’Histoire est une maladie contagieuse dont il convient de se tenir à l’écart », le grand intérêt de ces mémoires consistant précisément dans ce croisement entre histoire personnelle, familiale et histoire collective, croisement qui, rendant l’intime à l’universel, confère une belle  ampleur lyrique au texte.
Dans cette enfance les secousses de l’Histoire sont ainsi déterminantes, mais tout aussi bien la passion de la mère pour les livres d’aventure et de mystère, et celle du père pour la magie des livres. Aussi loin que le poète remonte dans son histoire, il reconnaît « l’ombre du Scribe accroupi : la haute silhouette paternelle voûtée sur quel mystérieux alphabet mal éclairé », l’homme à vocation de lecteur acharné et de libraire.
La famille est nombreuse, 6 enfants, et l’enfant hypersensible et épris de solitude cherche un domaine préservé dans le rêve et l’imaginaire, écoutant tomber la pluie et « l’emportant au fond de son sommeil telle une bille de verre entre ses doigts serrés ». Dans cette enfance, l’histoire de petit Yvon, somnambule tragique, laisse son empreinte funambulique, de même que l’expérience de la faim dans ces temps d’occupation, inaugure déjà l’image de « ce prisonnier volontaire, poète en ses palais-mansardes à ciel ouvert ou ses sous-sols oublié du soleil ». Le sacré guette le rêveur, « passages secrets se profilant et menant aux demeures austères du Merveilleux », désir de l’Autre, du divin et de l’absolu « s’exaltant pour les couleurs mystiques des rosaces des cathédrales ». La maladie, la menace de la tuberculose et le début de cures dans des sanas renforcent encore la solitude, le rêve « d’échappées vers la direction d’Orients sorciers, de jungles hantées de dieux d’obsidienne ». Puis fou d’air, de lumière et de cimes, le poète épèle bleu avant d’épeler l’amour dans les jambes éblouissantes de jeunes filles, « éclosions florales dans le clair-obscur d’un matin ».
Le deuxième chapitre « La malle des Indes » est hanté par l’extraordinaire présence d’un peuple de poupées fantastiques créées par la mère. « Projections de l’inconscient prenant l’apparence d’une assemblée de naines à la fois spectres et spectatrices mortes en train de naître, ou l’inverse », promises au jeu d’ombres ou au théâtre de la cruauté.  Les poupées exercent une véritable fascination sur Claude, le frère aîné, qui en fait des elfes légers comme des songes d’acrobates dans un mini-théâtre Le Guignol de Reims. Devenu prestidigitateur professionnel, il entraîne son petit frère, déguisé en partenaire, dans l’aventure. Fort de cette première expérience, vêtu d’un col roulé noir et d’un blason tatoué de motifs cubistes, ce dernier déclame ses premiers poèmes devant un auditoire ébahi, ému par son extrême jeunesse et sa passion. Claude devenu Clo d’Airoll pour la scène lui donne alors le nom de Marc Alyn où se retrouve bien le poète. L’Y, lettre énigmatique évoquant l’arbre, la silhouette aux bras ouverts de l’homme en proie à l’espace, tandis que le ayn (œil) arabe suggère la contemplation. La prononciation fautive « Aline » ayant même l’intérêt de rendre hommage à la grand-mère paternelle du poète. Une pleurésie mal soignée arrache finalement l’adolescent au collège pour le faire entrer en poésie comme d’autres au monastère. La nature lui offre ses splendides chemins de l’aube, ses averses suivies d’éclaircies, ses gelées blanches, ses vignes du Seigneur. Dans sa chambre, cellule monacale, le poète naît au fil de l’écriture. Et ce sont les premières publications, Le Chemin de la parole, puis Demain l’amour. Le poète va s’en aller pour Paris, en partance sur le fil du rasoir : « Paris à Dix-sept ans ». Ce troisième chapitre relate les premières rencontres littéraires, les réceptions organisées par la revue d’Alain Bosquet et les moments magiques vécus  dans la proximité de Tristan Tzara, Jean Cocteau, Pierre Emmanuel, Anne Hébert, Angèle Vannier. Des recueils rencontrent un vif intérêt, Liberté de voir, Le Temps des autres (1956) couronné par le prix Max Jacob en 1957. Puis l’Histoire fait retomber sa faux avec la guerre d’Algérie en 1958 : « Algérie : le jasmin et la cendre ».
Nous découvrons ensuite la merveilleuse affinité d’élection avec François Mauriac « Les Années Mauriac », les voyages et la somptueuse tapisserie des paysages et des cultures « Slovénie, Bosnie, un avant-goût d’Orient », pour un poète errant de labyrinthe en labyrinthe, « Venise la Chinoise et les lagunes imaginaires de T’ang Haywen », métropole magique au confluent du rêve et de la mémoire, lagune vénitienne liée mystérieusement à la sombre et lumineuse présence au monde de T’ang Haywen, alchimiste de l’encre se réappropriant les paysages aquatiques de Venise.
Le lecteur pénétrera dans le labyrinthe de mystères, la création de la collection Poésie/Flammarion, l’ensorcelante cité d’Uzès et les environs d’une géographie sentimentale, le côté de chez Durell, la révélation du Liban et de Byblos, la chambre des miroirs, les jours de guerre à Beyrouth, les épreuves de la maladie, de la mort et la renaissance dans les demeures énigmatiques de l’univers.
Béatrice Bonhomme   
 
Marc Alyn, Le temps est un faucon qui plonge, Pierre Guillaume de Roux, 2018, 216 p., 23€.


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