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(Anthologie permanente) Etienne Faure, "Tête en bas"

Par Florence Trocmé

Etienne Faure  tête en basLes éditions Gallimard publient Tête en bas d’Etienne Faure.
D'un petit dépotoir de village
renaissaient parfois un iris, une plante grasse
jetés en leur temps avec le pot fendu,
le rhizome acharné à rejaillir
parmi les ordures, déchets, rebuts
recomposant une patrie dans le terreau des morts
où l'on achevait, sédentaire, de pourrir
sous les remparts en escalier des jardins,
là même où les chats maigres
avec leur tête en triangle issue des sables
viendraient remâcher l'herbe à eux destinée,
en marge du conglomérat humain qui s'arroge
très tôt les hauteurs de la roche,
d'inattaquables meurtrières, créneaux
par où le crime eut soif entre les murailles,
tournis d'une histoire amassée dans la chute
des seaux, faïences, poteries ornementées,
tous les résidus de vie qui remontent,
comme à l'assaut.
du dépotoir

/
Parmi les ruines, les oliviers tordus,
le maniérisme de leurs troncs qui n'ont pas pris la ligne
la plus directe pour élever leur sève,
on s'arrête, soudain charmé sous les arbres
par le gisement des corps d'albâtre et de gypse
qui esquissent dans les allées dallées,
des gestes dérisoires, de fins sourires
éteints dès que le ciel vire, obscurcit
le décor planté d'un ancien paysage,
les traits noirs des cyprès devenant soudain courbes
sous l'inflexion des vents qui prétendent
infiniment balayer tout, araser
l'histoire à l'horizontale
quand remontés du sol en mémoire
les vestiges se redressent.
travail du sol

/
Le mimétisme de l'outil avec le sol qu'il creuse
sert son oubli, l'horizon des rhizomes
dans un jardin serti depuis des siècles,
où le manche aussi terreux que le fer
et la paume qui l'anima, peut-être
elle aussi, dans le sol sont retournés
bien après qu'en leur bonté racines
arrachées, récoltées en fin d'été, tubercules
eurent fait resurgir le luisant des tranchants
abandonnés un jour de grand déguerpissement
– c'est la guerre, et tout ce qui fuit avec,
jeune homme, le heurt des verres, des assiettes,
le fracas émietté des cuisines
aussitôt balayé par l'histoire,
un bruit sec d'intérêt national enfoui
à plusieurs reprises
dans l'argile.
retour fragmentaire

/
Passé le choc minéral de l'outil
– le même bruit de pierre autrefois taillée
pour équarrir la viande écorchée des proies,
endosser leur peau chaude – il reste
en plein air l'écho sec, ancestral,
du fer lentement qu'on aiguise
par insistant frottement de tout âge,
le son rouillé de la faux remise
soudain en marche,
dans l'herbe affûtée à mesure qu'elle tranche
au balancement d'un corps, astreinte à sa cadence,
l'outil fait à sa main prolongeant le bras
– c'est alors lui, un peu, ce morceau de lame
qui coupe l'herbe en demi-cercle, à chaque passage
au ras du sol abat fétuque et flouve en bataille
allongées dans le champ.
dans l'herbe affûtée
Etienne Faure, Tête en bas, Gallimard, 2018, 144 p., 15€.
Etienne Faure dans Poezibao :
Bio-bibliographie, extraits 1, Légèrement frôlée (R. Klapka), débat sur la revue de création (Salon de la revue 2007), extrait 2, Vues prenables (par T. Hordé), un entretien (avec T. Hordé), extrait 3, ext. 4, Horizon du sol (A. Emaz), ext. 5, Horizon du sol (par JP Dubost), ext.6, "La vie bon train", par Antoine Emaz, "La vie bon train", par Ludovic Degroote, (revue Sur Zone), n° 19, Etienne Faure, "Thoraciques", (Note de lecture) Etienne Faure, "Ciné-plage", par Myrto Gondicas, (Archive) Jacques Bonnaffé lit des extraits de "Ciné-Plage" d'Etienne Faure, (Anthologie permanente) Etienne Faure, "Écrits cellulaires"


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