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(Anthologie permanente) Franck Doyen, Mocha

Par Florence Trocmé

MochaFranck Doyen publie Mocha à la Lettre volée.
31°27’ Sud 99°Ouest

bleus douloureux du ciel, plis indivisibles de la mer, ondulent, ondulent mais démultiplient sans le moindre souffle de vent, des cliquetis se rapprochent, remontent à la surface, houle même de la coque, vibrations de votre corps tout entier,
tête par-dessus bord vous scrutez les courants, l’eau ténébreuse grossit, cliquetis là, plus près, tout près, autre chose commence, il y a
vous planté, exorbité, yeux rivés à la surface sombre, guettant le moindre remous, la moindre fêlure de l’étendue plate des eaux, cliquetis,
et la surface brune se brise sans un bruit, long souffle d’eau remontant aux cieux, le dos rocailleux et blanc fracture votre entendement, un dos fripé, luisant, aux cicatrices circulaires et saillantes, stigmates de chasses sans pitié, cartographie des grands fonds, si basse la ligne d’horizon déborde d’un coup, une bête vous frôle
grand animal, en vous morne et solide, rôdant depuis des siècles, au front robuste et plat, naufrageurs affamés jaillissant de l’histoire, cachalot blanc, démons,
grande bête informe à la peau rocailleuse, à la souplesse énorme des monstres marins, il est là, enfin, il renverse et se moque, il est là, l’œil vissé sur votre coque en bois, s’élève au-dessus de la mer vous moquant, pour y replonger, sans une éclaboussure
sifflement de la lame qui revient, embrasse et roule, envahit le peu d’attention qui vous reste, forces telluriques sous la surface des eaux, tapis dans la mémoire vers ce commencement vieux monde, rien ne pourrit plus en vous, jours et nuits rentrés, jusqu’à vos veines resserrées, l’absence de bruit maintenant envahit tout, air manquant, gestes raréfiés, l’eau dans votre bouche, amère
vous invoquez la pluie, ou toute lourde étendue, écoulée noire, à vous recouvrir de terres molles, balayées par les vents et les bruines, mais rien au fond dans ce lointain,
vous débris misérable, quantité mortelle, carré de bois à la merci de toute nageoire, enchevêtré dans votre corps rétrécissant sous l’œil grégaire, un cri vous échappe, à la souffrance presque native, empreinte profonde dans le bois, illisible
Franck Doyen, Mocha, La Lettre volée, 2018, 65 p., 14€, pp. 31/35.
Franck Doyen dans Poezibao
Ec/rire au moment où, Vous, dans la montagne (note de lecture d’A. Helissen), [note de lecture] Franck Doyen, "Champs de lutte", par Yann Miralles, (anthologie permanente) Franck Doyen, "la pluie pour unique mémoire, épuisante, défait le cercle laineux, claque aux oreilles", (Note de lecture) Franck Doyen, "Collines, ratures", par Yves Boudier, (Note de lecture) Franck Doyen, "Collines, ratures", par Isabelle Baladine Howald
Sur le site de l’éditeur :
« Cette suite poétique signale une transformation importante de l’écriture de Franck Doyen. Si ses livres précédents témoignaient d’une confrontation avec les mots et groupes de mots, de la tension à la naissance de leur affrontements, ce dernier livre s’inscrit certes dans la continuité des collines, ratures, publié en 2016 dans cette même collection « Poiesis », dont la particularité était, notamment, un affrontement avec la page, plus précisément, avec la disposition sur la page des vers, des fragments. Le lecteur retrouvera la même structure visuelle, ses fragmentations en paragraphes courts pouvant être lus indépendamment les uns des autres, mais la thématique du déplacement est abordée cette fois sous les dynamiques du nomadisme et de l’exil. Mocha construit, au fur et à mesure de ses fragments poétiques, un récit. Le « vous », qui est le personnage auquel le texte s’adresse, dérive, seul sur l’océan. Entre le réel et l’imaginaire, en proie aux éléments, à la faim, à la solitude, le personnage perd l’usage de la langue et s’animalise. Ce livre est une véritable descente le long des zones océaniques, et une remonté jusqu’à l’île de Mocha, faisant ainsi entrer ce texte en résonnance avec Moby Dick de Melville. Et en particulier, avec la mythologie Mapuche, et les peuples d’Araucanie et de Patagonie. Écrite dans une langue nette, claire, limpide, cette suite atteint des profondeurs poétiques auxquelles nous sommes peu habitués. »
Franck Doyen (1970), écrivain, poète, est le coordinateur du Festival d’écritures poétiques contemporaines, Poema (rattachées à la région Grand-Est en France). Il s’est occupé pendant dix ans de la revue de poésies contemporaines 22(M)dP. Il collabore actuellement à la maison d’édition Faï Fioc à Montpellier. Il a déjà publié Lettres à la Première Bosse (Propos/2 éditions, 2007) ; EC / Rire au moment où (L’atelier de l’agneau, réédition 2012) ; B.I.O.bio - un désastre autobiographique (Propos/2éditions, 2010) ; Inventaire de début du jour (L’atelier de l’agneau, 2011) ; VOUS dans la montagne (Le Dernier télégramme, 2012) ; Littoral (L’atelier de l’agneau, 2013) ; Champs de lutte (Æncrages & co, 2014) ; Collines, ratures (La Lettre volée, 2016).


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