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(Anthologie permanente) Isabelle Garron, bras vif

Par Florence Trocmé

GarronIsabelle Garron publie bras vif aux éditions Flammarion.
Le vent

Exténué
Un enfant entra
Il se mit à pleurer amèrement
Il dit : je suis gelé
Puis-je m’arrêter chez vous ?
Marina Tsvetaieva
Carnet 1917-1918

1
Face au vent déchaîné l’auteur marche.
Il se protège la tête avec le rabat de son pardessus.
A le regarder passer sur la grève, ceux qui l’aperçoivent visage enfoui chercheront peut-être à savoir s’il est quelqu’un qui redoute une agression humaine ou bien le mauvais temps.
A moins que le témoin de sa silhouette longeant le rivage ne se demande s’il cache ainsi une disgrâce physique dont la teneur des quolibets qu’il endure n’est décidément rien en comparaison de la honte qu’il en éprouve, et le prive de tout.
A marée montant, le blockhaus est noyé.
Dans sa sacoche, il y a des feuillets d’une histoire datée.
Il y a aussi au départ du chemin d’accès un panneau qui montre la décision prise par les Allemands en 1942   du mur de l’Atlantique.
On imagine le cordon dunaire, le bulldozer, la pelle à câbles, les wagonnets. Les trémies filtrantes, les silos. Le mot péripétie arrive dans ta langue par un autre biais. Il ne t’a pas échappé. Il germe déjà.
Ce qui a eu lieu, à cet endroit.
Les ordres, le froid, les cadences, la rigueur du commandement.
L’obscène récitation des possibles.   Quelque mois avant la perte de ses documents, l’auteur avait eu pour projet d’en garder la trace.   Le relevé fut brutalement interrompu par un dommage. Un jour de grand déplacement d’objets, il devait retrouver son carnet de travail inachevé. En cela, le réel fait.
Il concasse aussi.
Le carnet n’est pas bleu.
Les notes ne donnent rien de tangible du matériau d’origine. Devant ce fatras, il repense à un texte de la cinéaste Anne-Marie Miéville, intitulé « Faire un film ». Elle y évoque Mon cher sujet, moyen métrage de 96’ réalisé en 1988. Elle pose la question « Pour Mon cher sujet par exemple je me demande "mais comment ça commence ?" »
Il se laisse glisser. Dedans.   Tout ce qu’elle avait écrit en quelques pages lui donnait du courage. Tous ses films aussi.
« Mais comment ça commence » ?
Une reconstruction impossible pourquoi l’inventer ?
Il n’en demeure pas moins – qu’à retourner   dans et entre, dans la disparition des lignes, l’assèchement de la durée   explorant ce jeu de mémoire enfermée   une scansion sourde va et bat, continue de battre, continue d’aller.
(...)
Isabelle Garron, bras vif, Flammarion, 2018, 204 p., 18€, pp. 41/45.
Isabelle Garron dans Poezibao : extrait 1 (présentatin de Qu’il Faille), extrait 2, note de lecture de Qu’il faille, lecture à la librairie Tschann, autour du Cahier Critique de Poésie, sur Objets d’Amérique d’Y. di Manno, Corps fut (Auxeméry), ext. 3, (Note de lecture) Yves di Manno et Isabelle Garron, "Un nouveau monde, Poésies en France • 1960-2010", par Florence Trocmé


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