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(Note de lecture), Vincent Pélissier, le cheval n'a plus lieu, par Florence Trocmé

Par Florence Trocmé

PélissierVincent Pélissier publie un tout petit livre, dont la taille est inversement proportionnelle à l’effet qu’il produit sur le lecteur : Le cheval n’a plus lieu, pour dire une photographie de Dolorès Marat. Où la photographie, saisissante, est le prétexte non seulement d’une description extraordinairement fine et informée tant de cette image que du cheval, de son anatomie avec tout un vocabulaire précis, mais aussi d’une réflexion écologique et ethnologique sur la place de l’animal dans nos sociétés, celle d’hier et celle d’aujourd’hui.
L’objet lui-même est très beau, un tout petit livre donc, de 10,4 x 13 cm, pesant 50 gr, imprimé en typographie, de manière artisanale, à Rochefort. Dans le livre, un tirage de la photo de Dolorès Marat, ce cheval qui comme tous les animaux photographiés par elle sont, nous dit Vincent Pélissier « affectés de solitude ». Avec ce « flou » si léger un « flou [qui] n’est pas un brouillage ou une estompe des limites entre deux aplats mais la superposition de plusieurs limites, restituant en décomposition ce vif que l’objectif tend à paralyser. » (p.11).
Beauté de ce texte : « C’est en définitive la photographie d’un regard qui se dérobe, se replie, dans une indicible douceur. Paupières à demi-closes, ce cheval regarde à l’intérieur. Quel que soit l’objet de sa crainte, il se rassemble, il cherche refuge en lui-même, il en appelle au sang, à l’instinct, à la lignée, à la fuite, à l’ancien vertige des galops, à la horde brutale, à une musique, à Poséidon, à Balamer, aux Houyhnhnms, à des plaines perdues. On ne sait pas l’arrière-monde d’un cheval. »
On songe ici aussi bien à certains textes de Muriel Pic qu’à des photos de Marc Blanchet. Dans un cas comme dans l’autre, pour leur regard singulier sur le monde et les êtres qui l’habitent, sur une certaine dimension de mystère et de nuit.

Le cheval n’a plus lieu
est un ouvrage précieux qui ouvre sur des dimensions de rêve et de découvertes, de réflexion aussi sur le monde et son évolution, bien plus que maints gros volumes savants mais désaffectés. Cela n’étonne pas quand on connaît le travail de Vincent Pélissier, éditeur d’une magnifique revue, Fario, dont la parution est malheureusement suspendue et de livres rares mais importants, comme ceux de Gustave Roud, Günther Anders, Baudoin de Bodinat et tant d’autres, sans oublier la formidable collection des Impardonnables.
Florence Trocmé

Vincent Pélissier, Le Cheval n’a plus lieu, pour dire une photographie de Dolorès Marat, Les Petites allées, 2018., 15€. Sur le site de l'éditeur
[NDLR : Dans Les Voyages de Gulliver de Jonathan Swift, les Houyhnhnm sont une race de chevaux ; Balamer était l’étalon d’Attila]


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