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L'anthropologue Jean-Didier Urbain sur les transformations du modèle des congés

Par Levidepoches
Lu dans Libération
«Un modèle qui se désagrège»
par Jean-Didier Urbain, anthropologue et sémiologue spécialiste des congés : Recueilli par CATHERINE MALLAVAL

Jean-Didier Urbain, anthropologue et sémiologue, professeur à l’université de Versailles - Saint-Quentin-en-Yvelines, a mené et publié moult travaux sur les vacances.

Les vacances sont-elles sacrées pour tous les Français ?

Quand on parle de vacances, on sous-entend partir. L’Insee lui-même, quand il mène ses enquêtes, oppose la catégorie des vacanciers aux non-partants. Certes, quelque 65 % des Français partent en vacances. Mais certains restent chez eux. La raison n’est pas seulement financière. Ceux qui circulent déjà beaucoup du fait de leur métier préfèrent parfois rester chez eux. Et il y a aussi en gros 10 % de gens seuls pour qui partir en vacances, donc bouger, est angoissant.

Mais la majorité part. Depuis les premiers congés payés ?

Non. D’abord, le Front populaire n’a pas inventé les congés payés. Il les a généralisés. Sous Napoléon III, déjà, les fonctionnaires de mairie avaient droit à des jours. En 1900, les employés du métro avaient leur semaine de repos. Et si, en 1936, on promeut les congés pour tous, la classe populaire ne part pas encore en vacances. Ou quelques jours, dans la famille. A condition qu’elle ne soit pas trop loin. C’est seulement dans les années 50 que le tourisme commence à se massifier. Avec des départs en juillet-août et des séjours le plus long possible qui rythment désormais la vie sociale. En 1951, la SNCF met en place les premiers trains supplémentaires l’été. Ces années sont aussi celles de l’accession à l’auto. La France part en vacances en 4 CV, en 2CV, en Dauphine… Ce mouvement s’intensifie jusqu’au milieu des années 70. Il atteint un pic en 1989. Mais le modèle des grandes vacances a déjà commencé à se désagréger depuis plusieurs années. Notamment avec l’apparition des vacances de sport d’hiver.

Aujourd’hui, à quoi ressemblent les vacances d’été ?

Aujourd’hui, on est davantage dans l’émiettement. Par exemple, les Parisiens partent en moyenne six fois dans l’année hors de chez eux. Nous multiplions les courts séjours, considérés comme tels lorsque l’on part quatre jours. Les grandes vacances durent, en moyenne, quinze jours. En 2020, pronostique l’Institut national du transport, les deux tendances se rejoindront. Et le voyage standard sera de dix jours. En fait, les vacances sont de moins en moins considérées comme la récompense d’une année de travail. Les loisirs étant de plus en plus prégnants toute l’année. On constate d’ailleurs une multiplication des résidences secondaires, qui ne sont plus le seul apanage des notables. Plutôt que de partir pour de longs séjours, on s’y échappe toutes les cinq semaines. On recense aujourd’hui 3 millions de résidences secondaires. Auxquelles il faut ajouter la moitié des emplacements de campings loués à l’année. Se développe aussi le phénomène du cabanisme : un million de Français ont une caravane plantée à l’année dans un champ.

A quoi cela correspond-il ?

Je crois qu’au mythe de la «beat generation», avec ses voyages initiatiques, a succédé celui des échaudés de 68, qui rêvent comme les babas cool de sociétés parallèles, néorurales, d’autonomie, avec le désir de se soustraire au rythme de la société industrielle.

Au fond que recherche-t-on pendant les vacances ?

N’en déplaise à ceux qui parlent de se cultiver et visiter des musées, en vacances, ce que l’on cherche avant tout, c’est à recréer du lien. Avec sa famille, ses amis. Comme on cherche à se faire une coquille de protection avec sa résidence secondaire. Et, là, les vacances d’été plus que les autres sont propices à ce retissage de liens familiaux, amicaux, amoureux. D’ailleurs, en été, seuls 9 % des Français passent la frontière. Et, si on va à la campagne, ce n’est pas pour voir le paysan, le folklore, mais pour rester dans sa bulle. Il y a presque un côté antisocial. Qui se retrouve aussi dans un autre phénomène qui a trait aux vacances. Se développe de plus en plus un tourisme non marchand, fait de contacts directs entre particuliers, d’échanges d’appartements, de couch surfing. Ainsi fleurit toute une économie parallèle de troc locatif. Pour des raisons économiques évidentes, mais aussi avec le désir de reconquérir une liberté dans un monde parallèle.

La France des temps libres et des vacances avec Jean Viard et Françoise Potier. Editions de l’Aube
Beach

photo : I8sunrise

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