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(Anthologie permanente) Olivier Barbarant, Un grand Instant

Par Florence Trocmé

CouvUnGrandInstantEn lien avec la note de Christian Travaux publiée ce lundi 1er avril sur le site, quelques extraits du livre d’Olivier Barbarant, Un grand Instant.
Je n'ai pas oublié :
l'urne de graines est arrosée d'eau chaude,
et la terre les attend déjà.
Elles seront confiées à l'obscur, au gel et à la boue,
pour qu'y fermente le printemps.
Dans l'herbe pâle renaîtront
en guise du corps perdu
les roses et mauves des anémones.
Avec un peu de larmes, avec un rien de sang,
la douleur arrange le monde.
*
Au moment de mourir quels seraient les instants
Que j'aurais à revoir ? une grange d'enfance
gorgée de mirabelles ; le premier baiser
et le retour vers la maison, quand je volais
dans l'avenue, le front vraiment heurtant la nuit ;
un nu trois fois taché de noir, lisse et fourchu comme
une branche
d'arbre couchée dans la neige des draps ;
des bouquets d'yeux sans doute, chavirés de plaisir ;
les boucles de Bérénice sur fond de divan vert ;
des chats couchés en rond, sans que leur nombre
fasse perdre le prix d'aucun — ainsi des corps aimés,
du lever du soleil au premier jour d'été
que par tradition mes parents allaient voir, le museau d'un renard
jailli ce matin-là dans le rideau des blés
comme le masque d'un acteur jaugeant furtivement
son public...
Maigre récolte : des lumières, des épaules et des regards,
à peine un film de vacances, de la musique et quelques mots,
des vers de Racine, «je dépasserai
ma gorge et mon chant» ; un peu de sable
et quelques flammes ; la peau laiteuse d'une rivière
qu'un plongeon disperse, et d'où jaillit
toute une vie : des gouttes d'eau, un peu de perle.
*
Le lilas allumé de pluie : à l'extrémité de chaque branche, une goutte ronde, que le jour gris rend lumineuse, comme les minuscules ampoules des arbres décorés.
C'est l'an neuf sur le petit jardin carré. Pluie sur les planches, pluie sur l'herbe très verte, sur le buisson de fleurs blanches qui résistent à l'hiver. Un vent léger secoue les lampions délavés, vestiges jamais ôtés d'une fête d'été. Hors la rumeur de la pluie sur les toits de zinc, le silence élargit l'espace, étire le temps.
Ce sont de ces secondes jugées sans importance, oubliées toujours, parce qu'elles sont disponibles comme une nappe étalée : une vie rincée, une douche d'être, le ciel qui chantonne. Et la folie d'une existence qui prendrait pour inessentiels ces instants de pure présence, quand l'esprit n'est plus agité de projets qui le tirent vers l'après, quand le monde réel n'est plus seulement le cadre où se déploient des actions, quand le film ou le roman cessent de raconter, pour enfin ressentir, prendre le temps de regarder, de considérer les ailes sombres de la feuille morte, luisante sur son linceul de planches mouillées, le rythme régulier des cercles que crée l'impact des gouttes dans la mare à côté d'elle, le mur de bambous que le vent froisse, l'instant libéré de l'horloge, du décompte, le présent arrondi, un merle au bec jaune qui s'ébroue sur le banc.
Olivier Barbarant, Un grand instant, éditions Champ Vallon, collection « Recueil », 2019, 136 p, 16€, pp. 47, 65 et 123.
Sur le site de l’éditeur
Olivier Barbarant dans Poezibao :
bio-bibliographie, "Elégies étranglées" par Ludovic Degroote, ext. 1, Élégies étranglées, par Isabelle Lévesque, autour d’"Élégies étranglées" d'Olivier Barbarant, par Matthieu Gosztola, (Note de lecture), Olivier Barbarant, Un grand instant, par Christian Travaux


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