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(Note de lecture), James Sacré, Dans la parole de l'autre, 2, par Paul Darbaud

Par Florence Trocmé

(Note de lecture), James Sacré, Dans la parole de l'autre, 2, par Paul DarbaudPour qui est attaché à la voix de James Sacré, merveilleusement malicieuse et secrète, presque murmurée, à la fois familière et singulière, chaque nouveau livre constitue une halte bienvenue, bienfaisante. Fort d'une œuvre avoisinant la centaine de livres qui va du gros opus jusqu'aux plus infimes plaquettes, toutes dispersées avec libéralité chez de très nombreux " petits " éditeurs, il avoue simplement, de son petit air gourmand, timide et goguenard, aimer ça. A ceux qui s'émouvraient du fait qu'il publie à une cadence parfois soutenue, on suggérera que cette prodigalité n'est qu'une des formes et des effets que revêt sa généreuse ouverture aux autres, et aux autres écritures.
Car, si ce petit livre s'intitule Dans la parole de l'autre - livret 2, ce n'est évidemment pas sans raison. Il porte aussi sur sa couverture les noms de Lorand Gaspar et Edmond El Maleh, comme le précédent (livret 1) ceux de Antoine Emaz et Gérard Titus-Carmel. Il s'agit ainsi d'accueillir dans ses propres poèmes une parole voisine et fraternelle, celle des plus proches de ses pairs. Et plus que d'instaurer un dialogue, tenter une coalescence des mots et des pratiques réciproques, progresser " dans l'espace ouvert des livres de Lorand Gaspar ". Il est dit plus loin : " Des livres sont là, traversés par d'autres livres ;/Une voix passe d'un livre à l'autre. " Il faut comprendre que nous ne sommes plus dans le simple hommage ou l'exercice d'admiration, la citation ou l'emprunt, mais bien dans une tentative de commune contamination, en même temps que de commentaire réflexif et de mise en miroir.
Chacun s'accordera sur ce point : on doit à Sacré une langue entre toutes reconnaissable, tout à la fois gauche et savante. Il s'en explique en ces termes : " ... mon français d'école/Bascule [...]dans une langue maternelle qui n'a pas de forme/Un patois mal habité, des tournures de parler à la maison, dans les champs. " Après s'être mâtinée de patois vendéen, avoir été travaillée par la tradition maniériste*, avoir connu comme il se doit de multiples influences (de Reverdy à Follain), voilà que maintenant, d'être frottée à d'autres plus contemporaines, son écriture s'augmente et se régénère encore. " Le poème propose à la fin/Un français plus vivant. "
Dans cette perspective les deux figures ici invitées méritent qu'on s'y attarde un peu. L'œuvre de Edmond El Maleh s'attache toute entière à restituer et restaurer une riche mémoire marocaine où cohabitent les cultures juive, arabe et berbère. Quant à Lorand Gaspar, plus connu sous nos cieux, d'origine transylvanienne, longtemps résident en Tunisie, traducteur du hongrois, de l'allemand et de l'anglais, auteur du magnifique recueil Egée, suivi de Judée** ou d'essais sur la Palestine, son appartenance à un monde déployé vers de multiples horizons n'est plus à démontrer. Ce sont façons là encore pour Sacré, épris du Maroc et de l'Italie, établi de nombreuses années aux Etats-Unis, d'héberger des éclairs et des échos d'un monde cosmopolite.
Mais la présence de Lorand Gaspar, par ailleurs aussi chirurgien, essayiste, spécialiste des neurosciences et photographe, donne lieu, par-delà les réverbérations visibles de ses mots dans les vers de Sacré, à des interrogations que ce dernier traite à sa manière, loin de toute approche théorique. Ainsi de la question sur les rapports qu'entretiennent le poème et la science : " Notre main de mots/Caresse-t-elle un désir de la science ? " Quel est le degré de mutuelle porosité ? S'agit-il de parler des oiseaux : " Le poème se prend-il pour un manuel d'ornithologie vécue ? " Est-ce qu' " il ajoute à la science qui s'intéresse aux oiseaux ? " Manière bien caractéristique de l'auteur de ne pas cesser d'interroger l'écriture et ses registres, d'inlassablement mêler divers niveaux de langue, d'éprouver le poème comme un lieu maximalement ouvert et accueillant, de faire dans une subtile dialectique, une feinte naïveté, dialoguer les ailleurs et le proche.
La question vaut aussi, par glissement, pour la pratique de la photographie. Il s'avère que Gaspar, de même que Jean-Loup Trassard ou Gérard Macé, a publié plusieurs livres remarqués de photographies accompagnées de ses textes aux éditions Le temps qu'il fait. L'un d'eux*** comportait en regard de ses photos des poèmes de Sacré qui amorçaient déjà une réflexion, une rêverie ici poursuivie et prolongée : " Les couleurs dans les photos de Lorand Gaspar/Sont-elles pas [...] Les couleurs qu'il a cru mettre dans ses livres ? " Convoquer, appeler, comme la science à l'instant, les arts visuels à témoigner dans l'écriture, pour la border ou la déborder, c'est la mettre en danger pour mieux la valider, et plus assurément s'avancer dans le poème.
On retrouve dans ce recueil tout ce qui fait le prix et la saveur des textes de Sacré, sur lesquels tout a été dit : ses tournures comme ficelées à la va-vite : " Tout mal plan "; " des mots qu'on ne sait plus s'ils sont ", d'autres comme traduites, ou sorties tout droit du terroir oublié d'un Ramuz : " Tout un ciel de grande mouvance au-dessus ", un travail sur la vitesse de la prise de vue : " Un oiseau, là intense/Mouvement vif... ", la douceur d'une approche ou d'un commentaire : " Tout un léger théâtre de presque rien ". Mais à tout prendre, le mérite de ce petit livre réside moins dans la restitution pleine et entière de la parole de l'auteur que dans sa capacité à l'ouvrir dans maintes directions sans que sa profonde et rayonnante unité le moins du monde en pâtisse.
Paul Darbaud
James Sacré, Dans la parole de l'autre, Rougier V. éditions, 48 pages, 13€
* Un sang maniériste, La Baconnière, 1977
** Gallimard, 1980
*** Mouvementé de mots et de couleurs, Le temps qu'il fait, 2003


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