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(Anthologie permanente) Oswald Egger, Triomphe des couleurs, dossier de Jean-René Lassalle

Par Florence Trocmé

EggerLe poète de langue allemande et de passeport italien Oswald Egger vient de sortir son nouveau livre, Triumph der Farben (triomphe des couleurs). Son écriture néologique à syntaxe décalée y crée des visions mentales liées à la perception des couleurs. Passé l’effet de surprise, on peut se laisser aller à parcourir avec un plaisir étrange ces paysages langagiers en constante transformation qui combinent une certaine mystique du flux du vivant avec une rationalité de composition mathématique. Le visuel du livre, toujours créé par l’auteur, est beau : chaque double page met en vis-à-vis les poèmes en prose d’un côté et des grilles de permutations de centaines de petits rectangles tricolores différents de l’autre côté. Dans la partie centrale les poèmes se contractent en de longues listes de noms de nuances chromatiques, imaginaires ou non, tandis que des triangles colorés s’ajointent en rubans multicolores formant des silhouettes dansantes. Ici un système complexe de contraintes transpose les mots de deux poèmes de Pétrarque, les triomphes du temps et de l’éternité, en combinaisons de couleurs. Les anciens défilés d’allégories se métamorphosent en cortèges de Carnaval avec des personnages monstrueux semblant déformés par des logiciels artificiels, qui dissocient leurs couleurs dans des kaléidoscopes.
triomphe des couleurs  110
Soudain cela s’illumine quelque part dans l’air en rouge bleu ou jaune ; apparaissent de petits visagets en bois chacun comme une petite pomme ou des visages jaunis plus petits avec des yeux en billes bleu vif, rouges sourcils, rouges oreilles ; soudain en voilà trois, quatre en rang, et par-dessus encore d’autres s’alignant ; les petites têtes éparses se regroupent et s’épaniculent en un crâne, finalement la tête s’édifie comme une pyramide en friche, angulochrome, non-figurative, en mouvement perpétuel, les rangées évoluent, les têtes fourmillent, luisent, pelotonnent, et se métamorphosaient, billes d’yeux sur-roulantes, yeux en hyper-rotation autour de leur axe visuel : de chaque cil jaillit un éclair reliant dessus la courbe du nez, rayon jaune vif en éventail ; puis le réseau d’éclairs se réduit à de maigres faisceaux qui eux-mêmes disparaissent. Voici un Dégringol, la tête droite et barbue, avec une haute capuche pointue et yeux protubérants ; les monstres prolifèrent ; que des chiens bariolés, parés de contre-couleurs ; on voit la scène depuis des hauteurs comme un animal ailé, cependant avec un regard tordu qui se retourne sur soi. Je ne devrais pas penser. – seulement ressentir et regarder.
Extrait de : Oswald Egger : Triumph der Farben, Lilienfeld Verlag 2018. Traduit de l’allemand par Jean-René Lassalle.
triumph der farben 110
Plötzlich leuchtet es irgendwo in der Luft rot, blau oder gelb auf; es erscheinen kleine Holzgesichtchen wie je ein kleiner Apfel, oder noch kleinere gelbe Gesichterchen, mit grellblauen Knopfaugen, roten Brauen, roten Ohren; plötzlich sind es drei, vier in einer Reihe, darüber ordnen sich wieder Reihen; die einzelnen Köpfchen ordnen und zerrispen sich in einen Schädel, und schließlich baut sich der Kopf zu einer flächenlosen Pyramide auf, eckfarbig, nicht bildhaft, in steter Bewegung, die Reihen wechseln, die Köpfe wimmeln, leuchten, knäueln und veränderten sich, rollendere Knopfaugen, die Augen überüberdrehen um sich, um die Sehachse: von einer Wimper zu den übrigen springt, über den Nasenrücken, ein Blitz, ein grellgelb gefächerter Strahl; dann verliert sich das Blitznetz bis auf wenige strahlende Bündel, die dann auch verschwinden. Jetzt ein Kobolz, kopfhoch mit Bart, mit hoher spitzer Kappe, stechenden Augen; die Unholden mehren sich; sie sind bunte Hunde, in kuntere Farben gekleidet; man sieht sie wie ein Vogeltier von oben, doch ist der Blick schief auf sich gerichtet. Ich sollte nicht denken. - Nur fühlen und schauen.
Extrait de : Oswald Egger : Triumph der Farben, Lilienfeld Verlag 2018.
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triomphe des couleurs 142
Mon corps semblait se dissoudre, étant transparent. Des images comme poinçonnées, dans la forme d’une émeraude qui projetait des millions de petites étincelles, étirant les paupières, qui s’allongeaient à l’infini comme des fils d’or vaporisés sur bobines à jambettes, et cela tourne seul. À l’entour ruissellement, effondrement des masses murales, dans toutes les couleurs et une transformation constante qui peut simplement être comparée au jeu avec un kaléidoscope. Bacs meuniers de peintures à coulées en pétrification déversées de seaux ovales qui dans les myriades d’yeux de cyclope du kaléidoscope se confrontaient sur les roches à graisse, les facettant. J’étais encore moi mais altéré, mi-plante mi-humain, avec la contenance méditative de l’ibis debout sur une patte de pivert, secouant ses plumes. Seule la démarche est un peu incertaine, les pieds sont boursouflés, la main gauche manque, comme lourdement enveloppée de moufles. La calotte crânienne est absente, la tête paraît grossie, balance à droite et gauche comme un coussin d’air étanche empli de plumes ; serrement dans les joues, la peau se retend sur les os.
Extrait d  : Oswald Egger : Triumph der Farben, Lilienfeld Verlag 2018. Traduit de l’allemand par Jean-René Lassalle.
triumph der farben 142
Mein Körper schien sich aufzulösen und durchsichtig zu sein. Bilder, die wie gestochen sind,  in Form eines Smaragds, der Millionen kleiner Fünkchen sprühte, die Augenlider dehnten und verlängerten sich unendlich, wie Goldfäden versprüht auf kleinen Bein-Rollen, die dreht, ganz allein. Rings das Rieseln und Einstürzen der Wandmassen, in allen Farben und in stetem Wechsel, das nur mit dem Spiel des Kaleidoskops verglichen werden kann. Mühleimer versteinerter Schütt-Farben aus ovalen Kübeln, die mit zig Zyklopenaugen eines Kaleidoskops sich in die Specktfelsen verglichen und diese facettierten. Ich war noch ich, jedoch verändert, halb Mensch, halb Pflanze, mit dem besonnenen Aussehen des Ibis auf dem Vogelfuß eines Spechts stehend, mit den Federn schlagend. Nur der Gang ist etwas unsicher, die Füße sind wie dick, die linke Hand fehlt, wie wenn sie dick in Fäustlinge gewickelt wäre. Die Schädeldecke ist nicht vorhanden, der Kopf scheint vergrößert, schwankt hin und her, ähnlich einem federdicht gefüllten Luftkissen; Spannung in den Wangen, die Haut liegt straffer über den Knochen.
Extrait de : Oswald Egger : Triumph der Farben, Lilienfeld Verlag 2018.


Voir aussi 3 poèmes d’Oswald Egger avec dessins sur remue.net.
Oswald Egger dans Poezibao :  
bio-bibliographie, extrait 1, (revue Sur Zone), n° 24, Oswald Egger, "Album Nihilum", Extrait 2
Une vidéo en allemand tournée à Hombroich, par Marc Nordbruch. Poezibao recommande de visionner cette vidéo même si on ne comprend pas la langue allemande.
Ajoutons l’extrait disponible du livre Triumph der Farben avec les poèmes en allemand et les illustrations kaléidoscopiques en couleurs
Et rappelons enfin et évidemment l’anthologie en français d’Oswald Egger : Rien, qui soit, parue aux Editions Grèges.
[Jean-René Lassalle]


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