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(Carte blanche) à Bernadette Engel-Roux : Jacques Darras et La Maye

Par Florence Trocmé

Jacques Darras et La Maye
 

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A partir de la re-publication par Le Castor Astral de son Van Eyck et les rivières, 2019, (première édition au Cri/Bruxelles, 1995), avec évocation d’autres recueils : William Shakespeare sur la falaise de Douvres et sa traduction des Feuilles d’herbe de Walt Whitman, Gallimard/Poésie)
Quand Jacques sort de la forêt, c’est à la mer qu’il précipite sa force. Alors, dans cette voix large battent et les cognées sauvages des bûcherons, et le revenir rythmique de l’eau.
Lorsque, rhéteur, il se dresse pour clamer son espoir ou sa rage, il emprunte à la balistique son art de persuader, à l’arbre son exaltation, au vent allitératif ses répétitions, à la vague sa profondeur historique, anhistorique, de rouleuse depuis la nuit des nuits sur la légende des millénaires venue abattre sur la plage sa claque joyeuse :
Simple il y a au contraire duquel aucune phrase ne convainc.
C’est pour la mer qu’il aime que, pâtre promontoire au chapeau de Caliban, il déroule amoureusement sur la falaise de Douvres son volumen de Jubilations. À la vague et au vent, il dit son allégeance. Il tient haut un verbe de joie et d’amour. Hors évangiles. Il n’a de haine que pour la mort et ses marchands. Toujours il appareille, toujours il cingle. En l’eau labile et féminine, spontanément, sa poésie a foi, son âme d’enfant. Dans son dos, la lisière d’enfance, en effet, est mal refermée.
En raison de la triangulation de son génie, au nord orienté, c’est de l’ouest qu’à vol avide de goéland gréé en goélette, il translate ses amours. Et c’est en latino-picard (Amiens, c’est le sud !) qu’il versifie. De l’épicentre hissé de ce triangle dont l’oscillant tracé soudain s’étoile, il flèche le centre de son unique terre de langue : c’est un poète français. C’est en français de France, à l’extrême pointe de notre ourlante langue, qu’il ploie et plie et roule Shakespeare, Whitman et Lowry, Pound, Bunting, Jones et Hill, et alii. Et d’autres, dont le poème à vitesse de boulet roulé sur les rails d’un marin tunnel, beyond the tunnel of history, à la sortie intègre et lumineux, sur nos plages et nos plaines, se déroule et redresse et récite. Toutes brumes éclaircies, Jacques a pris sous la Manche les trains de Turner.
Un diabolisme personnel – le démon est Légion – le fait à la fois professeur, critique, traducteur et directeur de revue. Peintre. Et poète. Il doit à cette multiplicité de sa personne unique (axiome autobiographiquement vérifiable) la double page, la mise en page double de sa duplication. À Douvres, William Darras apostrophe, en ample laisse sur l’autre front de la falaise (la page en face), son double Jacques Shakespeare plié en sonnant sonnet.
À l’escrime, art du dialogue, il s’exerce ainsi. Le duel fini, sur le champ d’Azincourt, il salue, en touriste.
La page du poème est polémique, est proelium – ou n’est pas.
Bernadette Engel-Roux


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