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(Note de lecture), Christian Bachelin, Contes des forêts closes, par Jean-Pascal Dubost

Par Florence Trocmé

Christian Bachelin  Contes des forêts closes Mort en 2014 à l’âge de 80 ans, le poète Christian Bachelin avait confié à Valérie Rouzeau, en tant que légataire universelle, la tâche et le soin de faire vivre son œuvre posthume, une œuvre encore trop mal connue, bien que reconnue, voire hautement louée par la critique. Les Contes de la forêt closes comptent parmi les inédits confiés à la poète.
Entrer dans les contes de ce livre c’est comme entrer dans une forêt fantastique sans le moindre caillou pour retrouver son chemin, c’est établir un pacte avec un auteur ingénieux dans l’égarement du lecteur. Comme il l’a toujours fait, Christian Bachelin entreprend une forme ancienne et l’explore et la transforme sans toutefois la chambouler, n’ayant aucunement le dessein d’une tabula rasa, mais celui d’aimer ces formes en les parant d’autres atours, avec une courtoisie de la mémoire. Les contes sont ici des prétextes à poèmes en prose, récupérant quelques codes du genre à l’occasion, et le mot « conte » est, au titre, une fausse piste matoise. Car il s’agit bien pour l’auteur de libérer une imagination hautement fertile, débordante et déroutante dont l’enthousiasme conducteur est quasi la matière limoneuse, de libérer itou un imaginaire vastement médiéval ; ils sont, ces contes, fantastiques, oniriques, cruels, parodiques. Totalement imprégné de Moyen Âge, des mystères de sa lointaine Histoire et de sa littérature plus que de sa langue, le poète configure un univers qui nous évoque un romantisme fin XIXe siècle, tourné vers un passé médiéval et une obscurité occultés par le siècle des Lumières. Son choix ne relevait pas d’une interrogation de son époque, mais, plutôt, semble-t-il, d’une insatisfaction de ladite, considérée voire comme imaginicide. Selon Bachelin, le mystère et l’obscurité sont les hauts faits de la poésie. Comme dans maints contes anciens, ses contes ont pour lieu essentiel la forêt, légendaire ou non (souvent innommée). Mais quelques fois, on aura le sentiment de lire là une poésie appartenant à la fantasy, et plus particulièrement au médiéval-fantastique par certains de ses aspects gothiques ; et c’est lors à un grand mélange littéraire de grand lecteur auquel nous convie le poète pour architecturer son univers : la fatrasie, les légendes arthuriennes (Merlin, Tristan), Gérard de Nerval, Charles Baudelaire, Georg Buchner, les romantiques allemands, John Cowper Powys, Julien Gracq (d’Argol), etc., créant une uchronie unique en son genre, qui, redisons-le, fait œuvre de fantasy poétique. Mais on pensera également aux poèmes en prose du Gaspard de la nuit d’Aloysius Bertrand, on pensera à la trilogie gothique de Gormenghast de Merwin Peake, ça qui appuie l’idée de poésie fantasy ; l’œuvre de Christian Bachelin est un gigantal palimpseste, et le lire c’est aussi s’aventurer dans une littérature des confins. L’exil mental du poète vers le passé nous plonge dans un temps des plus incertains, flou, trouble. En effet, et c’est l’effet constant de surprise de ce livre, on a bien souvent le sentiment que les événements se déroulent dans le temps grammatical du passé simple mais allongé indéfiniment, ils semblent ne se dérouler qu’une seule fois et pourtant se prolonger et fendre le temps à grand erre. C’est chose très étrange.
On reconnaîtra bien quelques emprunts à des contes connus, mais on sera surtout émerveillé par les élans des incipit de chacun des textes, qui ont l’heur de nous attirer dans l’obscurité sans qu’on y puisse résister :
« La petite Ophéline était perdue au sein d’une immense forêt tiède et mordorée dont les odeurs de duvet de mésange et de braise encore un peu piquante avaient une douceur rappelant un faux printemps de février. » (Ophéline la petite fille de février)

« Un orphelin légendaire, enfant d’une tresseuse de joncs qui succomba en le mettant au monde et d’un batelier de la Moselle qui de chagrin se pendit ensuite à la branche d’un peuplier, un soir fut retrouvé à moitié mort de froid dans un panier sur la marche d’une église, par un joueur d’orgue de barbarie pérégrinant de par la brume des temps. » (L’orphelin de la forêt)

« Un petit garçon du temps jadis vivait entièrement inconnu de lui-même sous la forme d’un gros papillon rustique butinant maladroitement les pistils d’une prairie en pente douce. » (Enfance)

« Une misérable baraque à toues tirée par un vieux canasson fourbu s’avançait dans un soir sur une route de la forêt, à travers la fraîcheur d’une petite brume des limaces au goût de sperme de l’herbe et de tendre amertume des regrets vers la jeunesse. » (Air bohémien)
Christian Bachelin est complètement hors modernité, sans pourtant jamais être désuet, ni dépassé, ni ringard, son œuvre est une sorte d’uchronie littéraire. On est, dans ces contes, dans les temps des forêts légendaires, des sangliers spongieux et des mourants qui ne meurent jamais dans leur temps distendu à l’infini ; ici l’infini court toujours.
Jean-Pascal Dubost

Christian Bachelin, Contes des forêts closes, Préface de Valérie Rouzeau, Ed. On verra bien, 240 p., 19€.


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