Magazine Culture

(Note de lecture), Béatrice Bonhomme, Dialogue avec l'anonyme, par Matthieu Gosztola

Par Florence Trocmé

(Note de lecture), Béatrice Bonhomme, Dialogue avec l'anonyme, par Matthieu GosztolaRecommencer à écrire, comme veiller sur un petit olivier : être cher parmi les êtres chers.
Écrire, comme - ni plus, ni moins - poser de petits cailloux sur des stèles. Écrire, comme faire tenir, dans un creux, un petit papier plié - d'une couleur savamment choisie - contenant possiblement un vœu, ou un merci (du reste, l'un et l'autre ne s'équivalent-ils pas ?). Comme au vieux cimetière juif de Prague, près de cette inscription : " FRAGMENTS OF GOTHIC TOMBSTONES MID-14TH CENT. "
" Voilà, je vais recommencer à écrire ", confie Béatrice Bonhomme dans Dialogue avec l'anonyme, avant d'ajouter : " Ce qui avait été brisé par la mort recommencera à éclore sous ton regard impersonnel, sous tes yeux sans regard, il y aura un cœur de neige dans les mitaines de la nuit. Les mains se tendront pour s'offrir, elles réchaufferont le cœur qui ne sera qu'un flocon, une plume de neige posée sur le gant de la nuit. "
" Mon écriture tourne sans cesse [...] autour d'une présence absente ", avoue l'auteure à Jean-Claude Pinson. " Territoire où l'amour s'exprime sans faux-fuyants mais avec la certitude que la possession sait se faire dépossession, dessaisissement. "
Dépossession. Dessaisissement. Et pourtant, " [a]vec le poème, on redécouvre en se souvenant ", affirme Béatrice Bonhomme dans La poésie comme espace méditatif ? (Classiques Garnier, 2015). Par un travail mnésique constant qui, le poète s'improvisant restaurateur, redonne peu à peu à la couleur et au grain de peau du présent inatteignable - celui qui a été enfoui - leur intensité et douceur, consistance initiales, par un travail mnésique inlassable qui, dans le même mouvement, donne au présent inabouti - celui qui affleure - son parfum d'enfance, sa savoureuse pesanteur, l'altérité devient la cible vers quoi court, sans jamais se dérober, la flèche de l'écriture. Sans jamais se dérober mais sans jamais pouvoir l'atteindre. Ce qui ne l'empêche pas - la flèche - d'être reconnaissante d'avoir trouvé en elle - l'altérité - son élan. Si, chez Béatrice Bonhomme, " [l]e plus souvent, c'est un paysage qui imprègne de façon particulière [s]on imaginaire poétique ", s'il y a une " dimension mythique personnelle de ce paysage " ( Le nu bleu, L'Amourier, 2001), l'altérité est paysage ; l'altérité est indubitablement le lieu. " Voilà, je vais recommencer à écrire et tu n'auras ni visage ni nom que ce bonheur d'être à l'infini et ce sera pour toi, mais tu ne seras personne car tu ne voudras ni être nommé, ni être aimé exclusivement, et tu resteras secret comme un trésor ignoré, comme une chose précieuse et méconnue, comme une espérance folle mais anonyme. " ( Dialogue avec l'anonyme)
Matthieu Gosztola

Béatrice Bonhomme, Dialogue avec l'anonyme, frontispice et dessin de Claire Cuenot, Collodion, 2018, 60 pages, 12 €.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Florence Trocmé 18683 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines