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(Les Disputaisons) La critique en poésie, contribution de Siegfried Plümper-Hüttenbrink

Par Florence Trocmé

Image disputaisonPoezibao crée aujourd’hui une nouvelle rubrique, intitulée Les Disputaisons. Il s’agira à chaque fois de débattre d’une question littéraire, en donnant la parole à plusieurs intervenants sollicités directement par le site.
Poezibao inaugure cette rubrique avec une première série à parution aléatoire, qui comportera sans doute une quinzaine de contributions. Le thème : la critique en poésie. Cette nouvelle rubrique comme cette première Disputaison ont été conçues par Jean-Pascal Dubost.

Une disputaison :
La critique en poésie
 

Issue de la disputatio latine, la disputaison (ou la dispute) était au Moyen Âge une pratique universitaire qui consistait en un débat dialectique oral rassemblant deux personnes dialoguant autour d’un problème théorique posé par un tiers (le maître) ; sans rhétorique, il s’agissait de raisonnement brut ; ce n’était pas une confrontation. Nous avons demandé à plusieurs critiques littéraires de disputer par écrit autour de la critique en poésie, insistant auprès d’eux sur le fait que l’appréciation défavorable y est rarissime.
Première contribution : Siegfried Plümper-Hüttenbrink

Siegfried Plümper-Hüttenbrink
Voeux et aveux d’un critique

Je n’ai jamais su si je suis un critique bien recommandable. Ce dont on discute et dispute me lasse à la longue. Quant au mot de critique, j’avoue qu’il est fait pour m’indisposer. Ne génère-t-il pas tôt ou tard un état de crise auquel il faudra remédier ? Je lui préfère de loin celui d’examen clinique. Car en se fiant à l’étymologie, l’acte de critiquer revient aussi à discerner, disjoindre et trier. Sans vouloir parler de dissection, ni recourir ici à une radiographie, il me semble que toute critique ne peut s’effectuer que par une saisie clinique de ce qu’elle loue ou incrimine. Elle repère des symptômes, effectue des tests, et dresse au final un diagnostic. Et sans doute n’en va-t-il pas autrement de la recension critique d’un livre. Si elle touche au vif, elle risquera tout autant de guérir son auteur de ses travers que de l’empoisonner pour le restant de ses jours. Mais souscrire à de tels pratiques médicales à l’égard d’un livre et de son auteur me répugne plus qu’autre chose. Quant à émettre un avis ou prescrire des indications de lecture, je n’en ai ni les compétences ni l’envie. J’estime n’avoir en rien à décréter un pour ou contre lui. Prendre sa défense ou en faire un éventuel accusé relève d’une jurisprudence qui n’est pas de mon ressort. Quant au soi-disant critique qu’il m’arrive d’être, sans doute tient-il à retirer ses épingles d’un jeu qui peut virer au massacre. 
On me rétorquera qu’une critique en règle et dûment argumentée d’un livre peut s’avérer éclairante pour son auteur. Il pourra à l’avenir réviser ses acquis, se corriger de ses maladresses, voire se bonifier avec l’âge. Si bien qu’un livre manqué aura été un mal nécessaire, une étape à franchir pour son auteur qui sera dès lors en voie de guérison. Et sa publication, si inefficace et indue soit-elle, n’est jamais à contre-indiquer, vu qu’elle a reçu l’aval d’un éditeur. Jean Paulhan, qui n’était pas avare en paradoxes, allait jusqu’à dire que ce sont les défauts et non pas tant les qualités d’un livre qui font parfois inexplicablement tout son charme. Et ne dit-on pas de certaines maladresses qu’elles sont touchantes, si risibles soient-elles ? Sans oublier certaines malformations qui ont de quoi vous troubler, comme un strabisme oculaire ou la langue de qui bégaye. Comme si en louchant, on allait se mettre à voir double. Et en fourchant de la langue, tenir soudain un double langage. Ce qui peut sans doute arriver de mieux à un critique s’il tient à soupeser le pour sans perdre de vue le contre au cours de ses investigations.

Malgré mes réticences et mes réserves en matière de critique, j’ai dû toutefois contribuer régulièrement aux Cahiers critiques de poésie du CIPM depuis leur création en 2001 par Emmanuel Ponsart. Sans doute de ce qu’il me laissait carte blanche pour me retrouver infailliblement en hors-jeu. Car rendre compte en bonne et due forme de la parution d’un livre était le dernier de mes soucis. Seul m’importaient les signes avant-coureurs qu’un livre était en mesure de me fournir sous forme d’indices, et à l’aide desquels une sorte d’enquête écrite pouvait éventuellement venir à jour.
À l’art de la critique et de la controverse qui a vite fait de tourner au vinaigre, je préférais ainsi l’entente complice, et dont on ne sait au juste si elle est réelle ou s’avère fictive, vu qu’elle se communique toujours par intersignes qui sont autant de sous-entendus qui restent invérifiables. Et sans doute est-ce encore aujourd’hui la seule forme d’approche critique que je parviens à envisager avec un livre de ce qu’elle m’amène parfois à cohabiter mentalement avec son auteur. Aux signes de pistes qu’il me livre, il ne me reste plus qu’à lui faire signe en retour, son livre assurant le relais.
Il va sans dire qu’une telle approche critique ne peut se réaliser qu’en pleine fiction. Rien ne peut venir la valider, hormis quelques indices de lecture, et qui restent on ne peut plus hypothétiques. Et si elle prend un livre et son auteur pour guide, c’est en vue de s’engager dans une enquête langagière au sens où l’entendait sans doute Ludwig Wittgenstein dont on sait qu’il n’avait de cesse de parler par signes indicatifs, voire conducteurs, avec ses « jeux de langage ».
Suite à ces avoeux qui sont loin d’être fiables, il me reste un dernier vœu à formuler en matière de critique et que je détiens d’André Hirt. Il dit qu’au cours d’une approche critique il s’agit non pas tant de « creuser un texte que de l’accompagner, et en quelque sorte de le mimer ». En le laissant se reconduire en ses traces vives ? En le déchiffrant en miroir ? En se mettant à son diapason, sur sa longue d’onde ? En révélant quelque chose du processus quasi organique qui l’a fait venir à jour ? En lui faisant signe en retour des signes qu’il nous adresse ? Il semble que les manières de le mimer s’avèrent multiples. La seule qui reste guère envisageable revient à l’incorporer.
Siegfried Plümper-Hüttenbrink
Siegfried Plümper-Hüttenbrink


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