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(Les Disputaisons) La critique en poésie, Laurent Albarracin

Par Florence Trocmé

De la critique comme phagocytage

Image disputaison
Pour répondre à la sollicitation de Jean-Pascal Dubost et à la question induite dans sa demande, je dirais qu’il est en effet dommage que la critique journalistique, en poésie, se fasse uniquement dans le sens de l’encensement. On aurait besoin en ce domaine aussi, de jugements clairs et argumentés, de dissensus, de prises de position polémiques, de plumes acerbes et enlevées façon Jourde ou Chevillard, et de quelques déboulonnages de statues auto-érigées.
Pour autant, et pour parler de ma pratique personnelle, chez Pierre Campion ou dans la revue Catastrophes, je dois dire que je m’en tiens très généralement aux lectures favorables. C’est que je ne me considère pas vraiment comme un critique, qui juge de la qualité d’une œuvre, de la « réussite » d’un livre au regard de ses intentions affichées ou supposées, et encore moins comme un prescripteur : ma lecture ne se met pas au service du livre lu ni de son lecteur potentiel, mais se fait très égoïstement pour moi-même : je rédige une note de lecture tout simplement pour mieux lire le livre que je lis, pour mieux le méditer peut-être. À vrai dire même, je crois bien que mon activité de critique, comme d’ailleurs celle d’éditeur, est une manière de prolonger mes propres préoccupations d’auteur. On se love dans l’écriture d’un tiers pour nourrir la sienne. On fait son miel en butinant les livres où l’on cherche d’abord les fleurs qui nous réjouiront. On y trie le bon grain de l’ivraie pour abandonner l’ivraie au livre, et récupérer le grain, le gain, pour soi.
Je n’aime rien tant, dans un compte rendu, que citer des vers que j’aurais voulu signer. Écrire sur les autres, c’est encore écrire pour soi, par les autres. C’est manifester une reconnaissance, double en quelque sorte : on aurait pu dire cela nous aussi, et jamais nous n’aurions su le dire de cette manière (et donc on remercie). Je suis bien conscient du risque inhérent à une telle pratique : celui de détourner à son profit un propos, celui de le tordre et de le déformer, de le phagocyter. Mais citer, c’est précisément phagocyter, c’est faire fagot et feu et miel de tout bois. Et sinon de tout bois, du moins des meilleurs sarments. N’est-ce pas l’essence même de la lecture que de s’approprier une expérience ? Quand je lis, je retrouve ce que je veux dire et je le découvre : la voix que j’entends résonne avec mon for intérieur et elle m’intéresse aussi parce qu’elle est différente de la mienne, autre un peu, elle me décale et m’ouvre des horizons. Tout cela est très banal au fond, mais je ne connais guère que ce domaine – celui de la critique, de la lecture active – ou l’on est à la fois pleinement lecteur et pleinement auteur, en même temps contemplateur et créateur, vraiment autre et vraiment soi-même.
Laurent Albarracin
On peut lire les autres contributions à cette "disputaison" autour de la critique en poésie (une dizaine à ce jour) en cliquant sur ce lien


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