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(Note de lecture) Le Secret de ma jeunesse et Maurice Blanchard, vie supposée et choix de textes, de Pierre Peuchmaurd, par Marc Blanchet

Par Florence Trocmé

74-Le-Secret-de-ma-jeunesse-e1571768982207Deux poètes, l’un approché à travers une « vie supposée », croisant l’Histoire et affirmant des nécessités qui l’emmèneront jusqu’à être méconnu des siens, l’autre parlant du premier, écrivant lui-même une poésie sujette à toutes les métamorphoses, et qui a en commun de ne transiger sur rien. La figure du poète passe-t-elle par un absolu dont la révolte serait le moteur et la marginalité la preuve irréfutable d’un refus de soumission au nombre ? Il n’existe pas de vérité en ce domaine ; toutefois il apparaît dans le livre sur Maurice Blanchard de Pierre Peuchmaurd*, et dans les manuscrits posthumes de ce dernier successivement révélés par les éditions Pierre Mainard et l’Oie de Cravan, combien la figure du poète s’est modifiée. C’est bien notre société moderne, qui après avoir reconnu le poète maudit du dix-neuvième siècle puis consacré le poète du vingtième entre révolution surréaliste et résistance effective, intériorité et recherche formelle, a divisé les poètes en une fragmentation d’îlots, d’individus, qui après avoir été racontés dans des mouvements littéraires ou célébrés pour leur originalité, sont devenus de nos jours des auteurs suivis, souvent dans une grande indifférence, par telle ou telle maison d’édition, et rien de plus. Pierre Peuchmaurd, qui ne l’ignore jamais puisque sans cesse il interroge cet héritage, sait ce qu’il doit au surréalisme – un goût du rêve qui n’est pas imagerie, une pensée du monde qui n’est pas raison. Il a constitué une œuvre qui n’a jamais prétendu en être une, où la métamorphose dirige la perception, où la vision s’imprègne de la réalité pour la dépasser, sinon la subjuguer, quitte à devenir méduse, changer toute manifestation du temps en paroles, ou se décapiter soi-même au milieu des miroirs et s’écrouler en fragments. Cette poésie cousue de simplicité ouvre sur un monde qui n’impose pas ses étonnements ; elle jouit de miracles soudains, d’incongruités sincères, avec des corps d’animaux ici et là, de vives attentions, des étreintes sans bavardage. Non pas une poésie de l’admiration, plutôt une parole heureuse d’être là, parfois en elle-même, non sans fragilité quoiqu’un rien jouisseuse de ses apparitions, toujours prête à les délaisser pour nous rejoindre ou côtoyer l’empreinte des saisons : « Sur la terre il y a du beau temps / la table penche / Par terre il y a des filles, / il y a tout un ossuaire. » écrit Pierre Peuchmaurd dans Le Secret de ma jeunesse (suivi dans ce volume de Jours de rangement, deux des sept manuscrits laissés à sa mort, publiés ici par les éditions Pierre Mainard, qui, à tort, pensent avoir « échoué » pour faire reconnaître cet auteur). La poésie de Pierre Peuchmaurd intrigue par un jeu subtil de retenues délicates et de visions fracassantes, tout à fait admissibles et finalement troublantes par l’usage qui est fait d’une réalité à la fois insuffisante et riche d’elle-même : « Grand ciel de mars avec des plumes / et des bâtons dans ses roues noires, / la terre revient la langue pendante / elle plante ses filles et ses décors / elle plante des trous dans la mémoire. » Pas plus qu’il n’existât vraisemblablement une Laure, il y a dans la poésie de Pierre Peuchmaurd une puissance du féminin qui parvient toujours à s’incarner. Cette chair a un goût. De même, la vie courante est irriguée de flux secrets, qu’il s’agit de montrer du doigt ; libre à chacun de recevoir une sorte de révélation, qui est le sentiment en soi d’une beauté qui défie le dédain contemporain. Dès lors, on reconnaît ses pairs. La traversée poétique de Maurice Blanchard a bien sûr la franchise 75-Maurice-Blanchard-e1571768955295d’un miroir tendu à soi, non pour quelque exercice d’admiration qui viendrait compléter l’autoportrait de Pierre Peuchmaurd, mais parce que parler d’un poète est une manière d’agir, de secouer par la parole d’un autre les conventions, de donner un visage sincère à une pensée du monde qu’un homme incarna par la poésie, ou fit incarner au poème. Maurice Blanchard est cela, ancré dans l’Histoire par une vie d’aviateur et de combattant, avant que cette vie scientifique ne glisse dans une vie poétique, avec la même vitesse, en se doublant hélas d’une vie professionnelle épuisante. Il plaît à Peuchmaurd, cet homme intraitable, épris tardivement de poésie, qui avance jusqu’à n’être plus visible de ses contemporains, n’étaient d’essentiels : Joë Bousquet, René Char, André Pieyre de Mandiargues, ou plus tard, Georges Henein et Edmond Jabès. Dans son isolement progressif, Maurice Blanchard atteint une force d’écriture comme de caractère que Pierre Peuchmaurd, en d’autres termes, d’autres états, a dû éprouver, et s’il n’était, lui, ni « fauve » ni « guerrier », on distingue dans son propos une clairvoyance qui, par ce poète vu en amitié, mène à lui : « Blanchard, pendant toutes ces années, ne fut véritablement « personne ». Il ne voyait presque personne – et pour être quelqu’un, il faut en voir quelques-uns (beaucoup). Il ne tenait rubrique nulle part, n’exerçait aucune fonction éditoriale, ne fréquentait aucun cercle littéraire, pas même les surréalistes. Il ne demandait rien – et c’est impardonnable. Ajoutons à cela que son métier est de ceux qui rencontrent le plus d’incompréhension et suscitent donc le plus de suspicion dans la gent littéraire, et l’on comprendra que cet homme mettait vraiment toutes les chances de son côté. Qui sème la dignité récolte le silence. » À l’écriture d’un Blanchard, presque colérique devant l’inanité de l’homme, en tout cas capable d’un lyrisme grandiose (jamais grandiloquent) comme de très belles crudités, répond, si différente, joueuse et éprise de pas de côté, la poésie de Peuchmaurd. Mais leurs chemins se rejoignent aujourd’hui par une solitude qui, si elle ne fut jamais fatale, dessinait clairement une séparation avec la séduction des images, l’explicitation du propos, le bienfondé des idées qui sont les formes faciles de la littérature. De l’un comme de l’autre, leurs poésies ne cherchent pas à charmer, elles demandent simplement à être vues, suivies, pistées même, tant elles convainquent par un sens de l’irrespect allié à un instinct qui évite tout formalisme, éconduit tout procédé. « Creva la rose / Pour une rose elle était obscure / mais c’était un hachoir dans la main d’un enfant / Tout de suite ce fut l’automne » : à la poésie de Peuchmaurd, où le vers élude les émotions pour en découvrir de neuves en d’autres territoires, se regarde également en face celle de Maurice Blanchard, dans son désir nullement vain de fraternité, sa foi intacte, sa révolte sans vieillissement : « Je tiens l’arbre au feuillage renaissant, je tiens le galet qui fait le poing dur, je tiens le mépris par les rênes claquantes entre mes doigts prises, entre mes doigts de granit et là où nous sommes passés, l’herbe pousse entre les pavés. »
 
Marc Blanchet

Pierre Peuchmaurd, Le secret de ma jeunesse, Pierre Mainard, 106 p., 15 € ; Maurice Blanchard, vie supposée et choix de textes, Pierre Mainard, 202 p., 17 €
Extraits :
Pierre Peuchmaurd, Le Secret de ma jeunesse, p. 21
Passé le feu,
le feu revient
Avec sa laine et ses épines
avec les fleurs du marronnier
avec la mer au bout des branches
Passé le feu,
le bleu répond pour la brûlure
une boule d’ivoire au bout des doigts
Le Secret de ma jeunesse, p. 64
L’eau qu’on jette aux poissons
la terre sur les vers noirs
l’air où tu tiens l’oiseau
des dernières volontés,
toutes ces roues dans le soir
et les poutres du ciel
on les secoue aussi


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