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(Anthologie permanente), Confucius, Ezra Pound, Auxeméry, Anthologie classique définie par Confucius

Par Florence Trocmé

Anthologie-claique-definie-par-confuciusL'Anthologie classique (le Shijing) rassemble les 305 poèmes - chansons populaires, odes pour les cérémonies de cour, odes religieuses -, sélectionnés et ordonnés, selon la tradition, par Confucius (551-479 av. J.-C.), dont la doctrine politique et sociale fut érigée en religion d'État et marqua profondément la civilisation chinoise. Ezra Pound voyait dans le confucianisme un véritable ‘code de la vie’ et une possibilité de renouvellement pour l'Occident. Après Les Entretiens de Confucius (ou Analectes), le poète américain traduit donc les odes confucéennes au temps de sa détention à l'hôpital St. Elizabeth's. Sa connaissance du chinois peut sembler rudimentaire : il suit l'enseignement de son maître Fenollosa, et ses solutions ne sont pas exemptes de fantaisie. Toutefois, Pound accorde une importance particulière au travail de traduction et voit dans la concordance des langues un critère majeur de civilisation. Il préfère par conséquent toujours la restitution d'une inflexion vivante au strict respect de la syntaxe. Une approche non conventionnelle mais efficace, qu'avait remarquée Simon Leys : ‘Pound ne savait guère le chinois ; ses interprétations sont quelquefois loufoques... mais Pound a fait preuve d'une infaillible intuition des rythmes de l'original... son oreille ne se trompe jamais et dans ce domaine il nous administre une leçon exemplaire.’ ».
Le poète et traducteur Auxeméry donne ici sa version de la traduction de Pound qu’il complète par une introduction et de très nombreuses notes. (Quatrième de couverture).
         IX (223)

VERS GNOMIQUES
Neige, poussière d'eau
   Fort est l'arc à bout de corne,
   tendez-le à nouveau,
   proches et parentèle ne devraient
   rompre sous la contrainte,
   Seigneur si vous faites ainsi,
   votre peuple le fera aussi
   et suivra votre enseignement.
   Si le frère au frère fait empêchement,
   qui portera secours ?
Bon arc rouge, qu'il se tende, et ne soit gardé sans ressort,
frères séparés et dispersés en péril de semblable discord.
   2
Ainsi grand tort as-tu de garder parentèle à distance,
qui donc copiera-t-elle, n'ayant de toi nulle assistance ?
   3
Aînés pour cadets de leur clémence auront souci
et aideront leurs frères en leur fortune aussi :
frères de bonne aire dans leurs mutuelles relations
ne devraient accroître leurs ennuis et exacerbations.
   4
Boursouflure de qui murmure
et ne visant que les honneurs
n'apprend pas bonnes mœurs. Celui-ci
ruinera un canton, en sera la maladie.
   5
Vieux canasson joue au poulain,
balourd hors d'âge fait le malin,
comme trois hommes fait ripaille
et n'est qu'un âne à la bouteille.
   6
On n'apprend pas au singe à monter aux arbres,
on ne jette pas de la boue
sur qui gît dans la fange, et prévois donc plutôt
à dessein
que petits hommes sur toi feront essaim.
   7
Épais nuage dissout la neige
qui fond devant le soleil,
mais nul
ne resterait à l'écart des faveurs
s'il escomptait dominer le rabais de son orgueil.
   8
Neige épaisse à la dérive, l’œil du soleil la dissipe,
les Mann et les Mao1 ont eu leur jour,
Mon Cœur ! quel jour !*
         X (224)
Sous le saule touffu, il est bon de rester étendu,
Qu’on laisse ici passer le pied de l'Empereur.
Me donner un emploi honteux me serait de trop d'honneur.
   2
Mieux vaut donc demeurer sous la branche du saule
que de se faire broyer l'orteil sous la voiture impériale.
S'il me donnait un rang de plus, cela me porterait trop loin.
   3
Un oiseau en hauteur peut tourner au-dessus des nuées,
l'esprit d'un homme s'élèvera au-dessus de la foule
en servant un tel maître bien au-dessus de nous tous
pour sombrer en misère bien pire quand il sera déchu.*
Ezra Pound, Anthologie classique définie par Confusion, introduction et traduction de l’anglais par Auxeméry, Pierre Guillaume de Roux, 2019, 480 p., 28€.
1. Des tribus.
NdT
Poème 223. — Pound, comme précédemment, condense et transforme les premières strophes du poème chinois en introduction, partiellement rimée, et traite l'ensemble en parties didactiques ; le poète antique émettait quelques reproches à l'adresse de l'empereur : respect distancié et froid à l'égard de ses propres parents, et attention complaisamment portée à d'ambitieux détracteurs. Pound donne à la dernière strophe un tour plus dramatique encore que celui du texte antique : le premier rayon du soleil fait disparaître la neige, et si, vous notre souverain, vous montrez trop de faiblesse, nos mœurs deviendront semblables à celles des barbares, et j'en éprouve une immense peine. Pound suit le texte mais fait en sorte que l'image de la menace du désastre prime.
Poème 224. — Thème : un prince refuse d'en passer par les prétentions d'un souverain tyrannique en allant faire sa cour, car il pense que les honneurs reçus ne lui vaudraient en fait que vexations et déboires.


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