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(Les Disputaisons) À quoi bon éditer et vendre encore de la poésie ?, Franck Pruja et Françoise Valéry

Par Florence Trocmé


Poezibao
publie aujourd’hui la deuxième contribution d’une nouvelle série de disputaisons autour du thème « A quoi bon éditer et vendre encore de la poésie ? ». Remerciements à Jean-Pascal Dubost qui en a eu l’idée et qui en a assuré la réalisation.

Disputaison n°2
« À quoi bon éditer et vendre encore de la poésie ? »


Image disputaison
La poésie (contemporaine s’entend), et c’est presque devenu un poncif que le dire, est un genre ignoré du grand public, dédaigné par les médias, fait de petits tirages, peu vendeur, et seule lue par une minorité de lecteurs (souvent eux-mêmes poètes) ; on pourrait entrer dans une longue litanie de ses carences. Quant aux poètes édités, selon une estimation non officielle mais qui fait autorité, ils seraient plus nombreux que les lecteurs de poésie.
Pourtant, un certain nombre d’obstinés s’acharne à en publier, et d’autres (plus rares) (libraires), à en vendre. Comment expliquer cette opiniâtreté ?

2/ Franck Pruja et Françoise Valéry (éditions de l’Attente)

Cela fait presque trente ans que nous entendons dire, sur les salons, les marchés aux livres ou les festivals, que la poésie a du mal à trouver ses lecteurs, est difficile à placer en librairies, etc… Bref, qu’elle serait victime des clichés de son genre en quelque sorte et non de son succès. On nous rebat les oreilles avec les faibles ventes en librairies (eh oui, un livre placé n’est pas forcément un livre vendu, et les retours sont douloureux pour le budget) alors qu’aujourd’hui, les statistiques de Livres Hebdo nous indiquent que le domaine qui nous concerne représente tout de même 3 % de part du marché du livre. C’est trop peu certes mais à considérer.
Chaque année, à notre échelle, nous constatons une progression des ventes. Il faut dire que l’on a commencé dans les années 1990 avec des livres d’artistes à tirage limité et de la micro-édition dont le tirage était adapté au nombre de lecteurs immédiatement potentiels. Notre réalité est très différente actuellement mais l’équilibre est resté le même, les lecteurs de la première heure nous ont toujours suivis, augmentés de nouveaux, faisant confiance à notre ligne éditoriale qui continue de s’inventer au fil de nos découvertes et coups de cœur.
Certains nous font savoir que publier de la poésie c’est être courageux. Récemment un libraire sympathique plutôt spécialisé dans la science-fiction et le genre fantasy nous a dit lors d’une tournée de diffusion : « Avec vos livres si diversifiés, si on ne les lit pas on ne peut pas les défendre ». « Les défendre », voilà un terme adéquat car c’est le nerf de la guerre. On repousse les lignes, on gagne du terrain. Est-ce à dire que publier de la poésie est un acte de résistance ? Oui, absolument car la poésie développe une langue exigeante, imprévisible, indisciplinée, inadmissible et inventive. Au-delà de la métaphore, elle est pour nous multiple et transversale, se mêle d’art, de sciences humaines, de politique. La poésie que nous publions questionne notre monde, au quotidien comme au regard de l’Histoire ou de la tectonique des plaques.
Nous prenons plaisir à apporter le plus grand soin au travail éditorial, la mise en forme d’un manuscrit en livre demande des dizaines d’échanges avec l’auteur, au fil de l’évolution de la maquette et des relectures. Pour promouvoir et défendre les livres, nous consacrons souvent nos week-ends et nos jours de vacances, pour hélas parfois peu de visibilité (tant il y a de choix sur le marché…). En revanche, le courrier des lectrices et lecteurs (et des autrices et auteurs) est toujours extraordinairement motivant !
Depuis 2008 nous respectons les points de la charte déontologique de l’éditeur professionnel en région : contrats d’édition, droits d’auteur, diffusion. Oui, nous en sommes plutôt fiers. Nous avons également diversifié les genres. Les auteurs et les autrices qui rejoignent notre catalogue le savent. Sur les centaines de textes reçus chaque année, nous n’en retenons qu’une dizaine pour notre programme éditorial. La sélection des textes est rude, inévitablement.
Pour répondre à la question du lectorat, cela doit dépasser le réseau des poètes-lecteurs même s’il s’agit d’un cercle vertueux et indispensable. Le livre de poésie trouve aussi son public lorsqu’il est porté à la scène (mis en voix par des compagnies ou performé par son auteur), qu’il est étudié en milieu scolaire ou travaillé en atelier d’écriture avec un public proche ou éloigné de la littérature. On pourrait d’ailleurs transposer à la poésie ce que l’artiste John Baldessari disait de l’art : « L’art m’est longtemps apparu comme une activité égoïste, non tournée vers autrui. Jusqu’au jour où, parmi mes nombreuses expériences d’enseignement, j’ai été confronté à des délinquants juvéniles. J’ai alors réalisé que l’art leur était plus nécessaire qu’il ne l’était à moi. » Il faut faire sortir le livre de poésie d’un contexte et d’un milieu spécifiquement poétiques ou littéraires car c’est aussi ailleurs qu’il opère de manière inattendue et gagne une sorte de troisième dimension, réveillant les esprits critiques.
Obstinés ? – peut-être… Convaincus ? – certainement !
Donc, laissons dire et continuons d’agir !
© Franck Pruja et Françoise Valéry


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