Magazine Culture

(Disparition) Marc Syren, un hommage de Mathieu Jung

Par Florence Trocmé


Marc Syren ou la nostalgie de l’Ange

Marc Syren
« Quelqu’un sait désormais le dernier mot, » écrivait Marc Syren dans une plaquette parue en 2016.
Tout le monde, ici, se souvient de lui, de l’engagement qui fut le sien, ces années durant, en faveur de la cause nécessaire et forcément perdue du poème. Cet être tout de discrétion animait les soirées de lectures au FEC (Foyer de l’étudiant catholique), ici, à Strasbourg, non loin de la place Saint-Etienne. Il présentait les poètes invités, s’effaçait après une prise de parole qui vous remuait, doucement vous secouait — pour rejoindre, faisant grincer les lames du parquet de la vieille salle Léon XIII, la table, en retrait, sur la droite, non loin de l’entrée, où il disposait quelques victuailles, ainsi que des ouvrages de poésie, la sienne mais pas seulement.
Marc Syren était coutumier d’une poésie pensive et aphoristique, minérale. Il élaborait une œuvre fragile et subtile, à partir de bribes et de brindilles — Schnieppfle un broosle, pour reprendre la formule de cet autre poète alsacien, Gaston Jung. « Abrupt est l’exercice de construire l’ossature d’un rire avec juste des brindilles, » nous dit Marc Syren dans Et ce n’est qu’en entrant.
Son allure me faisait penser à Dylan Thomas.
Il y avait chez Marc Syren la nostalgie de l’Ange.
Un goût non à vrai dire pour le raffinement, mais pour l’humble et le rare, qui le poussait, par exemple, à voir à travers l’œuvre de Jacques Borel « une prière bohémienne devant la vitre du monde ».
La poésie lui doit tant. Cette ingrate.
Marc Syren était une sorte de passeur silencieux, un passant tout court, à Strasbourg, où on le croisait, naguère, au Snack Michel, avenue de La Marseillaise. Des poèmes de Jean-Paul Klée en témoignent.
Je ne suis pas sûr que Marc Syren était de ceux qui font de la poésie un sacerdoce. Encore moins de ceux qui spéculent à partir d’elle, en vue d’une carrière littéraire, d’une trajectoire consciente et mesurée. Sa vraie vie l’en empêchait souverainement. L’envol patient de ses phrases le menait bien ailleurs : dans le sens d’un mode d’être, d’une éthique qui en douceur, avec sûreté infusait en lui et le portait.
Une œuvre discrète, secrète, mais assez abondante en définitive. Dont on ne mesure pas l’ampleur, bien que l’impact sensible de cette parole soit incontestable.
Absent de toutes anthologies, comme on dit : absente de tous bouquets.
En marge des déflagrations vaines, des ravageuses velléités de maintenant, le murmure soleilleux de Marc Syren a trouvé sa place au cœur des choses.
Un pas de côté — un écart existentiel, lequel fait tanguer la langue, l’ouvre dans un geste d’une éperdue bonté, d’une prodigalité ahurissante, selon une intranquillité vaillante qui s’obstine à ne pas se refuser à la lumière. En dépit de l’indifférence froide et méthodique d’un monde saccagé, Marc Syren se tenait debout, jovial et fixe, comme une grande étoile dans l’embrasure d’une parole faite sienne, adaptée à l’évidence du poème. Et de proférer, de dire, de faire monter la prière vers un azur qu’il faut bien se résoudre à qualifier d’indestructible.
Mathieu Jung
(nuit du 28 au 29 janvier 2020)
(photo : Grégory Huck)
Extraits de Ce n’est qu’en entrant (2016)
Il fut dit dans la contrée qu’un infini silence permettait une voix.
Alors qu’au fond du couloir ou au bord de la falaise un homme signe des autographes il n’épuise pas le grand large.
Joie de s’extraire de la meute nécessaire je n’ai pas compté les syllabes mais articulé le canevas.
Courage au milieu des hommes dans la lumière on dit que tout alentour bavarde.
Fulgurante curiosité dans la poésie de chaque désirant l’émotion nous immole.
Y a-t-il une issue pour celui qui court après son ombre.
À savoir que la lampe est prête et que la montagne à gravir n’est rien.
Puis celui qui d’un geste a brisé la beauté a lancé le nomadisme des échanges.
Une feuille volante et c’est l’aventure de la bonté.
Toréer avec le geai dans l’azur du jardin cela est juste et bon.
Réécrire l’histoire des méandres accomplir tout l’album des jeunes pousses.
Marc Syren — éléments de bibliographie
Voyelles en partance, Gigondas, Atelier des Grames, 1993.
La clémence du cœur en hiver
, préface de Pierre Dhainaut, Charlieu, La Bartavelle, 1993.
L’impeccabilité des sources, préface de Bernard Noël, Charlieu, La Bartavelle, 1997.
Le courage n’a pas de stigmate
, Strasbourg, Les Lieux-dits, 1999.
La patience des souffles dans le galop de la nuit, Saint-Estève, Les Presses littéraires, 2000.
La fontaine narrative de Balthus
, Toulouse, Éditions du Contentieux, 2003.
La berceuse de l’égard, Strasbourg, Les Lieux-dits, 2003.
Phrases
, Strasbourg, Les Lieux-dits, 2001.
La maison du consentement, Toulouse, Éditions du Contentieux, 2001.
Tout sera intégré, Strasbourg, BF Éditions, 2003.
La convocation de l’inespéré, Toulouse, Éditions du Contentieux, 2004.
L’enfant n’a pas de sablier, Colommiers, Encres vives, 2006.
La parole faite oiseau, Gigondas, Atelier des Grames, 2006.
Dans la bergerie de la clarté, Sarrians, Les Solicendristes, 2007.
En construisant une cabane pour les oiseaux, Strasbourg, Les Lieux-dits, 2006.
Le mot juste approche le réel, La Broque, Les Petites vagues, 2007.
Et ce n’est qu’en entrant, Strasbourg, Éditions Soub, 2016.
Quelques publications en revues, dans Rehauts, À l’Index, etc.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Florence Trocmé 18683 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines