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(Les Disputaisons) À quoi bon éditer et vendre encore de la poésie ?, 5, François Heusbourg, éditions Unes

Par Florence Trocmé

Image disputaisonPoezibao publie aujourd’hui la cinquième contribution d’une nouvelle série de disputaisons autour du thème « A quoi bon éditer et vendre encore de la poésie ? ». Remerciements à Jean-Pascal Dubost qui en a eu l’idée et qui en a assuré la réalisation.



« A quoi bon éditer encore de la poésie ? »
5. François Heusbourg (éditions Unes)

À vrai dire, cette question ne m’avait jamais traversé l’esprit. Et puisque la question, plus précise, est de chercher à expliquer l’opiniâtreté qui pousse certains éditeurs, certains libraires à éditer et vendre de la poésie, peut-être alors faut-il commencer par préciser que ce qui semble, vu de loin, être l’objet minuscule de cette opiniâtreté n’est en réalité que la somme de choix individuels, probablement inconscients de leurs motifs, et plus légers qu’il n’y paraît.
Pourquoi éditer de la poésie ? Aucune idée.
Pour maintenir le flambeau d’une littérature de création, exigeante, originale et confidentielle ? Pas vraiment. Pour pallier à la défaillance des éditeurs historiques (ceux du XXème siècle) ? Cela me semble une ambition démesurée. Pour permettre l’éclosion d’auteurs profondément singuliers ? Une graine féconde trouve partout à se planter. Par souci d’altérité ? Ce serait bien prétentieux. Pour affirmer ou défendre quelque chose ? Surtout pas. Pour empêcher la poésie de disparaître ? Si cela devait arriver, ce serait un problème secondaire. La poésie ne nous a rien demandé, surtout pas d’être ses chevaliers. Ce n’est ni une mission ni un devoir, ni un pèlerinage ni un fardeau ; c’est le petit jardin de chacun.
Pourquoi alors éditer de la poésie ? Par hasard.
Pour une raison sûrement très égoïste et banale. Pour le plaisir quotidien d’ouvrir les manuscrits le matin (privilège qu’il serait impensable de déléguer), discuter autour des textes avec les auteurs et les traducteurs (être deux à aimer un livre, cela suffit déjà), définir le nombre de cicéros d’une justification (plaisir ténu mais toujours un peu vertigineux, qui fixe un livre dans une forme), penser une couverture (ou comment varier à l’intérieur du même), ouvrir les cartons des nouveautés (c’est Noël tous les mois), tenir un bel objet entre les mains, un objet dont la beauté parvient à se faire oublier (c’est toujours une surprise). Espérer surtout que l’auteur sera heureux. Ce processus régulier se produit en ressentant à chaque fois la singularité absolue de l’expérience, ce même fragile tournoiement de toupie. Et voir que ses journées s’organisent autour de ce rythme étrange, autour de ce caprice merveilleux et enfantin de faire des livres, procure à la fois un sentiment d’incrédulité, d’illégitimité et de joie nue. Car si ce sont l’auteur et les lecteurs qui font les livres, éditer revient à faire des livres faits par les autres. C’est un tour dont nous nous contentons d’accompagner la magie avec des gestes de prestidigitateur.
J’ai bien conscience qu’il n’y a là rien de particulier à la poésie, et que le sentiment naïf que j’évoque est très facilement transposable à celui que doit éprouver un éditeur de guides de voyage, de bandes dessinées ou de romans policiers. Tant mieux : la poésie est une aventure éditoriale comme une autre.
Pourquoi en somme éditer de la poésie ?
Peut-être tout simplement parce que c’est amusant à faire, qu’il y a des auteurs, et des lecteurs. Beaucoup de lecteurs, à moins de croire que les éditeurs soient motivés par un quichottisme de grenier. Après tout, dans cette époque que l’on considère comme si hostile, le moins aimé des poètes d’aujourd’hui a la certitude de rassembler autour de ses livres plus de lecteurs qu’Arthur Rimbaud de son vivant. Il y a de quoi être heureux.
©François Heusbourg


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