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Discographie sélective : 1980, fusions et renouveaux

Publié le 09 mars 2020 par Storiagiovanna @StoriaGiovanna

Si 1970 avait marqué l’échec des mouvements pacifistes, 1980 va cristalliser certaines formes de renouveaux : que ce soit une réappropriation des cultures et du langage des jeunes des années 1950-1960 ou le durcissement des conflits en cours, cette première année de la décennie n’offre pas à proprement parler de nouveaux paradigmes. Il se trouve que les icônes rock des années 1960 et 1970 sont fatiguées, que la libération sexuelle connaît ses premiers effets et que la crise économique inhérente au choc pétrolier de 1973 semble entraîner des modes de contestation un peu plus extrêmes. 1980 marque donc une entrée dans une décennie où les bénéficiaires des avancées sociétales précédentes vivront de manière trèèès décomplexée et où, pour les « oubliés » – bien plus nombreux qu’on le pense –, le retour de bâton moral et sociétal sera d’autant plus cuisant.

Je remarque que j’ai fait une sélection trèèès rock pour l’année 1980 et ce n’est pas pour me déplaire. Les mastodondes des années 1960 et 1970 étant en bout de course, le rock fusionne, se redéfinit, se mâtine de reggae, de sons urbains, de l’air du temps, et ça fait extrêmement plaisir. Dans la même galaxie, on peut croiser les Ramones, les Stray Cats et Blondie, preuve que le rock n’est pas un monobloc et qu’il est amené à évoluer. Voici donc un petit digest de ces petites pépites.

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1 – Renaud – Marche à l’ombre (février)

Alors qu’il a quand même bâti son début de carrière sur son image de Gavroche à casquette et de loulou à blouson en insultant sa classe sociale de naissance – la bourgeoisie, donc – et qu’il se met à faire le canard pour casser cette image avec son troisième album, Ma gonzesse (1979), le brave Renaud Séchan se fait chambrer par les intellectuels. Il promet alors de faire un album « d’une violence noire ». C’est ce qu’il fait avec Marche à l’ombre, dédié à Jacques Mesrine, tué par la police quelques mois avant. Dans cet album, aux tonalités très rock, on retrouve donc la chanson-titre, qui deviendra la bande originale du film éponyme réalisé par Michel Blanc en 1984, mais aussi Les aventures de Gérard Lambert qui deviendra un personnage récurrent dans la discographie de Renaud, Dans mon HLM, mais aussi quelques chansons un peeeeu limites (Où c’est qu’j’ai mis mon flingue?, Mimi l’ennui…).

*Fun fact*

Pourquoi Gérard Lambert ? C’est ainsi que Renaud se moque de Gérard Lanvin, avec qui il a joué au théâtre en 1974 et dont il a piqué la compagne Dominique. Ironie de l’histoire, Gérard Lanvin joue l’un des rôles principaux de Marche à l’ombre.

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 2 – Trust – Répression (mai)

Deuxième album du groupe après un album éponyme l’année précédente, il représente à ce jour son plus grand succès de ventes avec 800.000 exemplaires. Deux esprits défunts planent sur cet album : Bon Scott, chanteur d’AC/DC mort en février 1980 pendant qu’il préparait avec Bernie Bonvoisin la version anglaise de l’album. Plane également l’esprit de Jacques Mesrine – décidément, son décès a clairement influencé la scène française cette année-là – à travers Le Mitard (où l’on entend la voix du truand à la fin) et L’instinct de mort dont le titre est repris de son autobiographie éditée illégalement en 1977. Trust réitère également son esprit pamphlétaire avec le mythique Antisocial, Saumur et se fend même d’une observation amusée de la scène internationale avec Monsieur Comédie (que, encore *fun fact*, mon filleul de 10 ans à l’époque connaissait par cœur, et ça ne m’étonne pas avec le papa qu’il a). Bref, cet album, c’est le sang et ça fait toujours plaisir quarante ans après.

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3 – Bob Marley and The Wailers – Uprising (juin)

Deuxième album d’une trilogie qu’il n’a pas eu le temps de finir de son vivant, puisque le dernier volet Confrontation (1983) est donc sorti deux ans après son décès, il fait suite à son « pèlerinage » en Éthiopie en 1978. Avec le premier volet Survival (1979), Uprising signe un renouveau artistique pour Bob Marley qui, désormais, enregistre de nouvelles chansons plus militantes et ne se contente plus de réenregistrer des vieux morceaux des Wailers. Autre changement notable, cette trilogie est réenregistrée à Kingston, alors qu’Exodus (1977) et Kaya (1978) avaient été enregistrés à Londres. Enfin, dernier élément notable, c’est son premier album enregistré sans cuivres et de manière très minimaliste, en témoigne Redemption Song dont il a décidé d’intégrer à l’album la version acoustique enregistrée tout seul, et non la version avec les Wailers. Suite à la sortie de l’album, en partant en tournée, il apprend qu’il est menacé de mort et que plusieurs de ses amis sont assassinés. Il apprend également lors de sa tournée américaine en septembre 1980 qu’il a trois tumeurs au cerveau. Il ne retourna dès lors plus jamais en Jamaïque de son vivant, alors qu’il avait commencé à enregistrer Confrontation.

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4 – The Blues Brothers – The Blues Brothers: Music from the soundtrack (juin)

À l’origine du film mythique de 1980 était le duo Dan Akroyd et John Belushi, étant déjà des comiques permanents au Saturday Night Live, qui ont décidé de créer un groupe de blues fictif pour chauffer le public de l’émission dès 1976, le tout en s’accompagnant de musiciens réputés. S’ils s’habillent en abeilles lors de leur première représentation, ils décident très vite d’adopter l’uniforme costard/lunettes/chapeau noirs. Ils enregistrent un premier album en 1978, puis décident d’adapter au cinéma une biographie fictive du groupe, ce qu’ils font sous l’égide de John Landis en 1980. La bande son de ce film regorge de petites pépites blues et jazz, parfois réarrangées et réinterprétées par les interprètes originaux comme Think d’Aretha Franklin et Minnie The Mootcher de Cab Colloway. Malgré la mort de John Belushi en 1982, les Blues Brothers tournent toujours à l’heure actuelle, parfois accompagné de Dan Akroyd, de John Goodman ou de Jim Belushi, frère de John.

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5  – AC/DC – Back In Black (juillet)

Septième album du groupe australien, il est le premier à être enregistré non pas avec Bon Scott – voire plus haut –, mais avec Brian Johnson, recruté à la hâte. Suite au décès du chanteur, le groupe a décidé de s’éloigner de la pression médiatique aux Bahamas, où l’album fut écrit et enregistré. Si, pour des raisons évidentes de mood un peu chafouin, mais aussi circonstanciées (saison des pluies, invasion de crabes dans le studio…), l’enregistrement ne s’est pas super bien passé, le public a donc pris acte de l’hommage rendu au premier frontman avec cette pochette noire qui fut difficile à négocier auprès de la maison de disques. Résultat, avec des coups de pied retournés tels que Hells Bells, Back In Black ou You Shook Me All Night Long, l’album reste mythique quarante ans après et se paie même le luxe d’être le deuxième album le plus vendu au monde avec 50 millions d’exemplaires.

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6 – The Police – Zenyattà Mondata (octobre)

Je sélectionne cet album en connaissance de cause, puisque le Mari a eu l’excellente idée de nous offrir une intégrale de The Police, je peux donc parler de cet album et de sa place dans la discographie du groupe. Quel est le bilan ? S’il contient moins de « tubes » que dans Outlandos d’Amour (1977) et Reggata de Blanc (1979), à écouter l’album en entier, nous avons établi que Zenyattà Mondata était l’album le plus équilibré et construit des cinq albums, même si on sent tout de même une bascule tant dans l’identité sonore que dans les relations entre les membres du groupe. C’est à ce moment effectivement que Sting, Stewart Copeland et Andy Summers ont commencé à se foutre ouvertement sur la gueule. La postérité et la critique, ainsi que Sting lui-même, ont établi que Zenyattà Mondata était le moins bon du groupe, et je pense que le monde entier devrait comparer avec Ghost In The Machine (1981) et Synchronicity (1983) pour se prouver que le groupe a fait des albums bien plus dégueulasses par la suite.

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7 – Dire Straits – Making Movies (octobre)

Si j’ai établi le groupe de Mark Knopfler dans mon panthéon des intouchables depuis le temps, il est pourtant des albums qu’il me faut apprendre à connaître. En effet, si je connais des albums par cœur du groupe, tels que l’album éponyme (1978), Brothers In Arms (1985) et On Every Street (1991), il est par contre des albums que je connais très peu, et Making Movies en fait partie. Je ne le connais qu’à l’aune d’un Romeo And Juliet interprété par un crush de lycée et qui restera ancré dans ma mémoire. S’il ne remporte pas autant de succès que le mythique album de 1985, ce troisième album conforte le public dans ce qu’il avait découvert du groupe depuis 1978, à savoir un retour au bon gros son à l’ancienne, avec des fulgurences blues et country qui détonnaient en période punk. Cet album marque aussi le départ du groupe de David Knopfler, qui avait fondé le groupe avec son frère.

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8 – ABBA – Super Trouper (novembre)

Après un succès continu du groupe depuis leur sacre à l’Eurovision 1974, des rumeurs de séparations suivent le divorce effectif d’Agnetha Fältskog et Bjorn Ulvaeus en janvier 1979. Le groupe les réfute et connaît ses plus grands succès avec leurs sixièmes et septième albums, respectivement Voulez-Vous (1979) et donc Super Trouper. Ce dernier contient donc des classiques tels que la chanson éponyme, Lay All Your Love On Me et donc The Winner Takes It All, l’une des chansons les plus personnelles du groupe, puisque les deux couples étaient en situation de séparation. C’est le dernier album qui adopte le style musical du groupe, puisque l’album suivant, qui sera le dernier, décide de casser l’image lissée pour explorer des thématiques plus matures. Et ça s’est ressenti chez les fans qui ont boudé l’album.

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9 – John Lennon & Yoko Ono – Double Fantasy (novembre)

Suite à la naissance de Sean en 1975, le couple Lennon-Ono décide de rompre avec le monde de la musique et de s’occuper du petit. Début 1980, Yoko Ono retombe dans l’héroïne et le couple vacille. Elle décide donc d’envoyer « balader » John, qui en profite pour faire une régate jusqu’aux Bermudes, où il est rejoint par sa famille. Cela lui redonne envie d’enregistrer des chansons, ce qu’il fait dès juillet 1980 avec son épouse, une fois rentrés à New York.

L’album est conçu comme un dialogue entre John et Yoko, où chacun exprime ses craintes et ses sentiments par rapport à la vie qu’ils se sont construite. Il débute avec le (Just Like) Starting Over de John et finit par le curieux Hard Times Are Over de Yoko. Le jeune producteur Jack Douglas, cependant, dut faire enregistre John et Yoko séparément, parce que Yoko perturbait les sessions de John. Au final, ces sessions ont inclus 22 chansons, qui ont également servi à construire Milk And Honey, édité à titre posthume en 1984. Durant les sessions en studio « extérieur », le couple a eu la visite de Téléphone venu enregistrer Au cœur de la nuit (1980).   

Alors que l’album était reçu avec un accueil mitigé, notamment parce que les chansons de Yoko étaient jugées chiantes, se passa ce qu’il se passa le 8 décembre 1980. C’est ainsi qu’attiré par l’odeur de la charogne, l’album fut l’un des plus vendus de la carrière de John Lennon. Quel est mon avis sur tout ça ?

1. Il est nécessaire de replacer Double Fantasy dans son contexte discographique, ça le rend moins dégueulasse.

2. Cet album ne s’écoute qu’en cas de bonheur conjugal, parce que, sinon, si on est en mode incel ou men are trash, évidemment que l’album va paraître cucul.

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10 – The Clash – Sandinista! (décembre)

ALORS LES ENFANTS, GROS DISCLAIMER

Si vous devez investir dans un seul album du Clash,

GO SANDINISTA!

Si vous ne devez retenir qu’un album de l’année 1980,

GO SANDINISTA!

Autre groupe que j’ai inscrit dans mon panthéon des intouchables, le Clash fournit dans ce triple album qui dure au final près de 2h30 non seulement un vrai digest des capacités et velléités musicales du groupe, mais aussi un vrai document d’archive de l’ambiance musicale et de l’actualité sociale de l’Angleterre de 1980. Aucun tube ne s’en dégage, mais parmi les 36 chansons, il n’y a aucun déchet. Certains titres sont produits par Lee Scratch Perry, qui avait déjà travaillé avec le groupe en 1977. De nombreux invités se sont invités, parmi lesquels Tim Curry (vui, Pennywise), Ellen Foley, petite amie de l’époque de Mick Jones, et le violoniste Tymon Dogg, qui fut colocataire de Joe Strummer. C’est également la première fois que chacun des quatre membres du groupe originel chante une chanson sur un album.

Bref, Sandinista! fait partie de mes albums parfaits, au point d’avoir pulvérisé London Calling (1979) dans le classement de mon cœur.

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A bientôt pour de nouvelles aventures musicales.


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