Les éditions LansKine publient J’aime le mot homme et sa distance (cadrage-débordement) de Florence Pazzottu.
Extrait de la séquence 1. Treize SMS tressant poème.
Tout me touche aujourd'hui même ce peu de pluie la
pâleur de ma rousse petite lune patraque
qui s'inquiète et l'éclat de voix colérique de
cette jeune mère blonde que je côtoie dont
tant je redoute les grands yeux bleus blessant le soir
cet ami venu chercher un câble dont j'ignore
tout — à quoi sert-il et que raccorde-t-il dans ce
monde où tout s'emmêle et tout discorde ? — et qui me dit
un peu de son voyage en Palestine la peur
la fouille au corps et les check-points me touche surtout
vos quelques vers Ami votre pensée enfin qui
m'ouvre un ciel une source — bleue dites-vous ? si loin
du salut des jonquilles ? (5 juin 7 à 11h).
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Lunettes envolées dans un train désert image
muette aussi irrémédiable que d'un ami
le silence — restent les visages et l'énigme
qu'ils sont : une lune énorme griffée par les arbres
déchirant mon cœur comme le pourquoi des enfants
(7 avril 11 à 20h13)... Mon intuition :
tu te concentres sur le travail tu gagnes le
combat contre toi-même tu découvres ce que
tu sais déjà (mais) : qu'il y a une affirmation
qui est à la fois audace et écoute la plus
vaste jamais une domination — tout le reste
suivra (amour etc.) se déploiera à
partir du mur du jardin — frontière ouverte où se
font écho le bruissement de l'atelier et le
chant du dehors (8 juin 12 à 10h)... Merci pour
Libération. J'avais pensé t'envoyer ce seul
mot — un cri de victoire — malgré le réveil à
6h ce matin tu me devances (14
août 14 à 6h30)... Merci aussi pour
les stries du ciel hier et la mer bleu uni (12
août 14 à 6h38) j'espère que
tu traverses déjà ta tristesse et t'abandonnes
à la douceur... Tu ignores tout du Hollandais
volant ? Il dirige un navire fantôme mais
suscite et éprouve un amour vrai — n'est-ce pas mieux
au fond que l'inverse ? (13 août 14 à 9h)...
J'ai cru qu'il allait pleuvoir. Oui j'aime cette ville
malgré tout — imprévisible douce et âpre. Tout
le monde parle à tout le monde. Tiens je suis en
bas de ta rue (30 août 14 à 11h)... Soit.
Dans l'opacité des éclairs de compréhension
font parfois une trouée qu'on ne peut et ne doit
par des mots colmater. De même certaines marches
ne proposent n'inventent d'itinéraire dans
la nuit mais font exister le petit pas si dense
qui sépare deux pensées et deux corps — pas qui peut
être tour à tour passerelle ou bien fossé. Ce
n'est pas seulement parce que tu ne comprendrais
pas mais dire aggraverait la disparité et
risquerait de changer le petit pas en fossé.
(...)
Florence Pazzottu, J’aime le mot homme et sa distance (cadrage-débordement), éditions LansKine, 2020, 200 p. 18€, pp. 89 à 93.
Prière d’insérer de l’éditeur :
Dans J’aime le mot homme et sa distance (cadrage débordement) Florence Pazzottu emprunte au rugby le cadrage-débordement et ses trois temps, face-à-face, feinte et échappée, pour proposer, dans une traversée réjouissante des formes et des genres, une véritable aventure poétique, dans un sens que ce livre contribue à renouveler.
S’ouvrant sur un éloge du ratage et du dévoiement dans lequel mythes et faits d’Histoire voisinent et fusionnent avec les expériences les plus contemporaines, triviales parfois, J’aime le mot homme et sa distance joue sans cesse, entre vers et prose, entre jaillissement et précision de la pensée, récit serré et saut risqué, autobiographie et adaptation de contes japonais du Xe siècle (avec invention de poèmes-sms), et surprend autant par son accueil de l’imprévisible (dont Florence Pazzottu fait une discipline) que par l’exigence de sa composition.
Une puissante sensation de liberté accompagne de part en part la lecture de ce livre.