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Revue cinématographique et musicale #10 : Ennio Morricone sarà eterno

Publié le 06 juillet 2020 par Storiagiovanna @StoriaGiovanna

Nous avons appris ce lundi 6 juillet 2020 le décès de l’un des compositeurs de cinéma le plus iconiques, Ennio Morricone, dans sa 92e année. Son camarade et ami Sergio Leone (1929-1989) disait de lui : « Il n’est pas mon musicien, il est mon scénariste ». En effet, les compositions de Morricone ne servaient pas seulement d’illustration aux images de Leone, elles servaient littéralement de didascalies, voire de dialogues.

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Fils d’un trompettiste de jazz et formé à l’école Ste-Cécile de Rome, il commence sa carrière en 1946, mais ne débute dans la composition qu’en 1953. S’il se concentre dans un premier temps dans la réalisation de thèmes pour la télévision italienne et la musique classique, ses travaux attirent les réalisateurs d’œuvres cinématographiques à partir de 1960. Si sa collaboration avec Sergio Leone reste la plus importante, il a aussi composé pour Roland Joffré, Georges Lautner, Pier Paolo Pasolini, Bernardo Bertolucci, Brian de Palma ou Quentin Tarantino. Mais sa contribution à la musique ne se limite pas qu’au cinéma : en effet, outre de multiples œuvres pour orchestre et de musique de chambre, il a composé la Missa Papae Francisci en l’honneur du pape François et du bicentennaire du rétablissement de la Compagnie de Jésus, ordre séculier auquel appartient ledit pape.

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Ennio Morricone, c’était donc plus de 500 contributions à l’illustration sonore de l’audiovisuel et 70 millions de disques vendus. Tentons de faire un petit best-of.

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Pour une poignée de dollars (Sergio Leone, 1964)

Première collaboration d’Ennio Morricone et de Sergio Leone, ce film est également un premier jalon de ce qu’on appellera le western spaghetti, développé en Italie dès le début des années 1960 pour pallier à la fin de l’âge d’or du western hollywoodien à la John Ford. Adaptation non-officielle du Yojimbo d’Akira Kurosawa (1961), ce film sera décliné en trilogie avec Et pour quelques dollars de plus (1965) et Le bon, la brute et le truand (1966). Le thème du film est un repompage de Morricone d’une mélodie de marins qu’il avait composée pour la télévision italienne. Il a voulu de surcroît ajouter des « bruits » signifiants dans le thème (les coups de fouet pour symboliser la campagne du point de vue du citadin, la cloche pour symboliser la ville du point de vue du campagnard).

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Le bon, la brute et le truand (Sergio Leone, 1966)

Contrairement aux autres films de la trilogie, Ennio Morricone avait déjà écrit la musique avant le début du tournage. C’est de cette manière que la saillie de Sergio Leone a pris tout son sens, puisque le film s’est véritablement articulé autour des thèmes déjà composés. Clint Eastwood a d’ailleurs trouvé l’idée de diffuser la musique sur le tournage très stimulante et ça a en partie influencé son jeu. Deux thèmes mythiques se dégagent de ce film.

Il y a d’abord ce thème d’ouverture, qui est devenu limite un gimmick du western : la flute pour symboliser les Indiens, les cris pour symboliser les animaux sauvages et les slides de guitare pour la présence coloniale du XIXe siècle dans les états arides de l’Ouest des Etats-Unis, il n’y avait même pas besoin de faire de film tant Ennio Morricone avait déjà tout raconté en 2 minutes 30. Pour faire dans le plus symbolique, la flute représentait le Bon (Blondin), l’ocarina la Brute (Sentenza) et les cris le Truand (Tuco). Ce thème a servi d’ouverture de concert à Dire Straits pour sa tournée de 1981 et a été samplé par Gorillaz pour Clint Eastwood.

Autre thème fort du film, il illustre le moment où la quête des protagonistes arrive à son climax. Cette progression musicale illustre parfaitement l’urgence de la situation : Tuco, aveuglé par l’appât du gain, cherche dans ce cimetière comme si sa vie en dépendait. Outre le multiple samplage du morceau dans le rap, le morceau est passé à la postérité pour illustrer les concerts de Metallica depuis 1983.

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Il était une fois dans l’Ouest (Sergio Leone, 1968)

Suite à la première Trilogie des dollars qui résulta de l’adaptation de Yojimbo, Sergio Leone ne voulut plus faire de western. Pourtant, son distributeur américain avait décidé que c’était une bonne idée de faire un spin-off sur une histoire de vengeance découlant d’Et pour quelques dollars de plus. C’est ainsi qu’il construit une nouvelle trilogie sur trois époques différentes qui commence avec Il était une fois dans l’Ouest, qui se déroule à la fin de la ruée vers l’Or, suivi d’Il était une fois la Révolution (1971) dans le contexte de la révolution mexicaine de 1912 et d’Il était une fois en Amérique (1984) qui se situe dans le New-York des années 1920.

Encore une fois, Ennio Morricone a composé la musique avant le tournage du film et ça a grandement influé le jeu des acteurs. Au point que ce thème à l’harmonica est indissociable du regard de Charles Bronson qui joue le rôle d’Harmonica.

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Sacco et Vanzetti (Giuliano Montaldo, 1971)

Pour ce biopic sur les anarchistes italiens Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti – une affaire de braquage dans le Massachussets qui a ému l’Italie au début de son ère fasciste –, Giuliano Montaldo a décidé d’allier le talent mélodique d’Ennio Morricone à la plume et la voix de Joan Baez. Si Here’s To You et la deuxième partie de The Ballad Of Sacco & Vanzetti (présentée ici) étaient inspirées des propres mots de Bartolomeo Vanzetti à son procès, la première partie reprend le poème Le Nouveau Colosse d’Emma Lazarus.

Pour enregistrer les prises de voix, Ennio Morricone et Joan Baez n’ont obtenu de disponibilité qu’en date du 15 août 1970. Mais comme c’était un jour férié en Italie, Morricone n’a pas pu obtenir l’orchestre et a trouvé une base piano batterie pour la faire enregistrer.

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La cage aux folles (Edouard Molinaro, 1978)

Si on associe Ennio Morricone à des thèmes épiques et à des scenarii faits de sujets lourds, on oublie qu’il pouvait tout aussi bien être léger. En témoigne cette bande originale TRÈS ancrée dans les sonorités des années 1970, comme le film d’ailleurs.

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Le professionnel (Georges Lautner, 1981)

Pour ce film racontant l’histoire des tribulations d’un agent secret en Afrique, Georges Lautner a intégré dans sa bande originale le morceau Chi Mai, crée par Ennio Morricone en 1971 pour le film Maddalena (Jerzy Kadalerowicz). Le thème restera dans la postérité en France non seulement pour être devenu le thème de la publicité de Royal Canin dans les années 1980 et 1990, mais aussi pour son utilisation parodique dans divers projets d’Alain Chabat.

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The Thing (John Carpenter, 1982)

Pour son adaptation de La chose d’un autre monde (John W. Campbell, 1938), John Carpenter a décidé de ne pas composer sa musique lui-même (il l’avait pourtant fait pour Halloween, New-York 1997, etc.) et de faire appel à Ennio Morricone. Etant donné qu’il n’avait aucune idée de la direction prendre après le visionnage du film, Morricone a décidé d’écrire trois scores, un orchestral, un uniquement avec des synthétiseurs et un combiné. Il a ainsi enregistré une heure de musique, dont seulement vingt minutes ont été retenues. Au final, c’est le score uniquement composé de synthétiseurs qui a été retenu (le contraire aurait été trèèèès étonnant de la part de Carpenter). C’est d’ailleurs plutôt perturbant de se dire que c’est Ennio Morricone et pas John Carpenter qui a composé la musique, tant on ne reconnaît rien de la patte technique et mélodique du compositeur italien.

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Mission (Roland Joffé, 1986)

Sur ce film qui raconte l’abandon des missions jésuites auprès des Guaranis au XVIIIe siècle et les cas de conscience qu’elles génèrent, Ennio Morricone a décidé de faire une partition d’apparence très classique, mais beaucoup plus riche qu’elle en a l’air. En effet, pour intégrer les différentes cultures qui se côtoient dans le film, il a décidé de mélanger les chants liturgiques, les percussions amérindiennes et les guitares espagnoles. Il se fallut de peu pour que cette bande originale remporte l’Oscar en 1987, mais elle fut coiffée au poteau par celle d’Autour de Minuit (Bertrand Tavernier), composée par Herbie Hancock.

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Les Incorruptibles (Brian de Palma, 1987)

On retrouve dans le thème du générique du début de ce film bien ancré dans les années 1930 quelques marottes chères au compositeur italien : des cordes très présentes, un travail de sculpture du son très présent (la batterie qui marque les pas rythmés d’une course-poursuite, le piano saccadé comme des coups de feu, un peu d’harmonica traînant pour bien faire comprendre que l’action se situe aux Etats-Unis…)… Encore une fois nommé aux Oscars 1988, il ne put rien faire face au Dernier Empereur (Bernardo Bertolucci) et à ses compositeurs Ryuichi Sakamoto, David Byrne et Cong Su. D’ailleurs, depuis 1979, tel Leonardo Di Caprio, Ennio Morricone fut maudit de la cérémonie des Oscars.

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Les huit salopards (Quentin Tarantino, 2015)

Après avoir utilisé plusieurs de ses anciens thèmes dans divers films, Quentin Tarantino a décidé en 2012 de s’adjoindre les services d’Ennio Morricone en lui faisant composer un inédit pour le film. Pour Les huit salopards, le compositeur qui avait déjà 87 ans a décidé de réorganiser ses thèmes non-retenus pour The Thing et L’Exorciste 2. Il n’avait plus composé de thèmes de western depuis On m’appelle Malabar (Michele Lupo, 1981). Et c’est avec cette bande originale qu’il gagne enfin son seul Oscar de la meilleure bande originale obtenu à la régulière en 2016.

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Ennio Morricone n’est plus, mais la manière dont il aura influencé la narration musicale dans l’audiovisuel en fera un compositeur éternel.


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