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(Note de lecture), Henri Droguet, Grandeur nature, par Etienne Faure

Par Florence Trocmé

(Note de lecture), Henri Droguet, Grandeur nature, par Etienne FaureGrandeur nature
d'Henri Droguet emprunte son titre à l'un des poèmes du recueil publié aux éditions Rehauts (juin 2020), des éditions qui font bellement écho à la souple revue du même nom. Du 28 mars 2013 au 24 décembre 2019, Grandeur nature se déploie à raison d'une page ou deux pour chacun des trente-six poèmes. Et par chance -comme d'habitude, aurait-on envie de dire à propos d'Henri Droguet - il y a de magnifiques courants d'air dans cette écriture, le même souffle qu'on lui connaît depuis toujours, avec tout ce qui l'accompagne, tonique :
il a plu, plu, replu
Il repleuvra

Ce qui fait la signature d'une voix immédiatement reconnaissable est bien sûr le tissu des signes dont on perçoit immédiatement les éléments dans l'écriture d'Henri Droguet : le mélange très maîtrisé d'une langue soutenue avec celle des jours ouvrables ; une présence constante du mouvement, des accélérations de l'écriture et des ruptures de ton et de plan, accompagnées souvent d'une soudaine fragmentation du poème dans la page ; l'omniprésence, pour le bonheur des lecteurs et lectrices, des éléments de la grande nature, ceux de l'air, de l'eau -principalement maritime- et de la terre qui s'associent et contribuent à cette écriture -qui décoiffe...
Une présence maritime jamais démentie dans cette œuvre et dont on peut aisément trouver des échos -quand on connaît un peu l'homme et l'auteur- dans ses passions de navigateur chevronné. Cette fois-ci encore, H. D. réitère et annonce la couleur, en quelque sorte, en plaçant dès l'entrée de son livre une citation de Daniel Morvan : " Sans la mer, le ciel et le soleil sont une erreur ".
On y retrouve avec force le climat, pour ainsi dire, des poèmes droguetiens (tiens, ça sonne bien) : le vent sous toutes ses formes et intensités, bourrasques auxquelles s'adjoignent la mer, la terre et le ciel. Il en résulte une présence tous azimuts de mots qui ne cessent d'aller et venir entre brise, pluie, ondée, souffles déstabilisateurs et fagot, herbe, crin, taillis, broussaille, pomme et bernique, rocs, écume, etc.
Commencé par un Quatuor n°3 " Tout en chaos ", clos par un Hymne à " la beauté redoutable ", Grandeur nature est tout en mesures, démesures et musique - outre une absence presque totale de ponctuation qui fluidifie à l'extrême et précipite la trajectoire des mots ici traversés de deux brèves citations de Perros et Frénaud. Avec une partition aux mouvements variables et des mots-notes en suspension qui résonnent, prenant sur le papier des allures syncopées, parfois jusqu'à l'austérité, la fugacité et la brièveté de la note. Dans le poème Orphée, par exemple :
venu de pas loin
a
gratté ses charnières
à sang rongé quitté
masque sur masque
et rapaisé boité
sur une brande
[...]
a
rien cherché
a
pas pu
Une concision - une densité- semblablement retrouvée dans le numéro 45 de la revue Rehauts, précisément, avec le poème Ô saisons, par exemple :
pour l'hiver
un rêve
un placard
où la souris chicote
L'emploi de nombreux mots rares, spécialisés, oubliés ou réinventés n'est pas nouveau chez Henri Droguet. On y côtoie avec bonheur toutes sortes de termes et de sons catapultés dans l'espace mouvementé du poème : émissole, baudroie, liche et badigoinces, bedon, froissure, ruisselis, frissoulis, crâââ (du corbac black), déhalage, animule, blandule, brimborion, hauturière, gravelot, etc.
... " tout ça jeu d'enfant " ? Pas sûr. Le titre à lui seul vaudrait sans doute une exégèse un peu savante, hésitant qu'on est entre adjectif et substantif, mais plus simplement renvoie à l'expression intégrée par le langage courant, et signifiant " qui restitue à la taille réelle...à la taille de l'original ". Ou encore, plus près de ce qu'Henri Droguet fabrique dans son atelier ouvert aux pleins vents, " sans coefficient de réduction ". Voilà bien qui garde tout son sens dans ces poèmes magnifiques. Sans qu'on soit sûr que la nature prenne ici un N majuscule, on a le net sentiment qu'elle est là tout entière, reçue en pleine figure :
Une barrière la pluie nunc et semper
me rince la gueule
Et Dieu merci la nature
est là puante
merveilleusement
Une nature si grande qu'elle contient également cette forte présence de la terre et des végétaux, parfois entre terre et mer (" La mer c'est pré gagné "), leur litanie, ce chant au bord de l'inventaire cher à Henri Droguet : des mots-plantes, communs ou rares : le gratte-cul, le laiteron, la salicorne, le cresson, la doucette, les prêles, les luzernes...
... Côté ciels, on aurait bien envie de dire, par emprunt à Baudelaire à propos des ciels de Boudin, que H. Droguet est " le peintre des beautés météorologiques ". Pour autant, Grandeur nature n'est pas de la peinture d'après nature mais des pans épars réunis et qui recomposent une chose tierce, " Le ciel à contre-emploi ". Nul tableau figuratif (peut-être faudrait-il plutôt aller chercher du côté d'un expressionnisme ou d'un cubisme... maritime...). Car, réaffirme le poète dans le très vigoureux entretien avec Jean-Pascal Dubost dans Poezibao (conversation de référence, décidément, pour approcher l'œuvre du malouin) : " je ne représente pas [...] le décor dans les poèmes, ça reste un collage plus ou moins cohérent d'éléments généraux tendant presque à l'abstraction furieuse ".
C'est ce que réitère le même Droguet dans un récent entretien avec Romain Fustier, recueilli dans la revue Contre-allées (n°41, printemps 2020) à propos des mots qu'il récolte et assemble dans une sorte d'égarement : "...car je ne sais où je vais et je n'ai surtout pas d'intention (toutes les intentions sont redoutables et ne produisent que du discours) "...
Chaque texte semble ainsi à l'égal d'un passage nuageux où circulent, en une page ou deux, successivement l'ombre, le soleil, obscurcissements et éclaircies que la chute du texte souvent réoriente en une ultime humeur de clarté ou mots sombres :
Et tenir
La mort à distance
...Un grand mouvement d'air ascendant et salvateur en ces temps proches des équinoxes...
Etienne Faure
Henri Droguet, Grandeur nature, éditions Rehauts, 2020, 82 p., 16 €
Lire ces extraits dans l'anthologie permanente de Poezibao

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