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(Note de lecture), James Sacré, Quel tissu se déchire ?, par Jacques Morin

Par Florence Trocmé


James Sacré  Quel tissu se déchire« Quel tissu se déchire ? » est la troisième partie d’un livre de James Sacré entièrement consacré à la mémoire du père. Pour reprendre le titre des deux précédentes : « Portrait du père en travers du temps » (titre initial de la première partie, qui deviendra de fait celui de la trilogie) et « Un effacement continué » qui serait le plus exact pour cerner cet ensemble, clairement chronologique, écrit entre 2001 et 2020. Autre caractéristique de ce volume : la plupart des poèmes possèdent deux dates d’écriture, preuve de l’attention portée par l’auteur à chaque page relue et remaniée, n’insinue-t-il pas lui-même :
Remettre un peu de couleur à un poème d’une autre année ?
La première partie, qui court jusqu’en 2007, la plus courte, est sans doute la plus proche du rapport paternel. Peut-être parce qu’il y est question de langue, et que le patois du père est au fond un facteur formidable de filiation lorsque le fils a élu la poésie au cœur de sa vie. Et tout ce qu’il a pu transmettre de la terre, de son travail de paysan, de ses gestes d’artisan, de ses expressions d’homme, de son regard que l’auteur réussit à rassembler dans cette image au raccourci sidérant :
Maintenant que tout cela n’existe plus, qu’on l’a en somme remembré  
Sous la forme d’un peu de terre et d’une dalle en pierre…

La seconde partie qui va jusqu’en 2013 montre bien cette lutte interne, intestine entre mémoire et oubli. James Sacré dans sa vie cosmopolite ne manque pas de lieux pour s’arrêter et réfléchir au paysage alentour, sa poésie descriptive est toujours captivante et saisissante, entre Espagne, Maroc, Etats-Unis et autres lieux de lecture en France :  
De petites fermes meurent dans la solitude d’un pli de pente
(Province d’Aragon), 
On en revient toujours à une place un peu centrale
Et qui semble tenir dans sa main toutes ces rues lâchées, mais pas trop, autour d’elle
(Pertuis)  
Grosse ferme en volume de brique
Et le pinceau propre de quelques cyprès
(Toscane).
Ces arrêts et pauses dans un restaurant ou devant un café sur une table pour écrire dans le cahier sont toujours moyen au fond de revenir au père, façons d’être restaurées, souvenirs filtrés par le temps, le tutoiement étant encore la meilleure façon de garder le contact. Dans l’intimité des corps, l’authenticité des attitudes et des paroles, ce qui résonne entre l’absence qui gagne et le vivant qui demeure. James Sacré a toujours été un expert pour fouiller ces bandes de no man’s land entre deux zones opposées, mais qui se rejoignent dans les confins, pour y débusquer ces espaces de non-dit.
Je cherche le père que j’ai eu.
La dernière partie « Quel tissu se déchire ? », la plus récente, montre bien l’usure du souvenir et de la mémoire. Les questions légitimes ou insidieuses contrarient la belle ordonnance des « approximative notices » :
Mon souvenir de toi n’est rien plus 
Qu’un autre matériau pour écrire ?

Ou le doute qui affleure :
Dans le souvenir de toi qui n’est pas toi, souvenir
Si mal vivant dans la mémoire.

D’autres deuils, très proches aussi, viennent emboutir et renouveler la peine initiale.
Le monde est un grand mouroir
Une machine à manger le vivant

Le monde comme une charpie livrée au vent.
Le lien du souvenir se délite, les douleurs tout autour s’accumulent. Reste la centrale, l’ultime au cœur de l’écriture.
J’attends de mourir aussi.
Je suis déjà mort dans le nom de mon père.

Les trois recueils s’emboîtent autant pour un hommage, un journal de la succession qu’une sorte de testament différé. Celui à qui il s’adresse et l’auteur au fond ne font qu’un. Le tissu n’est autre que la feuille de papier que le poète déchire en multiples morceaux.
Tout un héritage de rien
Qui s’en va finir en mots.
Jacques Morin

James Sacré, Quel tissu se déchire ?, éditions Tarabuste, 2021, 238 Pages, 15 €.


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