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(Anthologie permanente) Françoise Ascal, Grünewald, le temps déchiré

Par Florence Trocmé


Françoise Ascal  Grünewald  le temps déchiréFrançoise Ascal publie Grünewald, le temps déchiré aux éditions L’Herbe qui tremble.
à quelques kilomètres de Colmar
les Antonins prient
herborisent
confectionnent des remèdes dans leurs fourneaux d'alchimistes
Les Antonins offrent l'hospitalité
et leur « Saint Vinage » aux malades
mais la boisson à base de plantes macérées avec des reliques
de saint Antoine
ne vient pas à bout du feu sacré
les Antonins ne renoncent pas
le précepteur de leur communauté
Guy Guers
appelle Matthias-le-peintre
il lui commande une œuvre-choc
une œuvre dont la vue pourrait contrer le feu ravageur
embraser les corps et les consciences
calciner le mal
guérir
|
ainsi inventent-ils un art thérapeutique
comme ailleurs
l’ont fait les chamanes
dessinant leurs signes magiques
à même la peau des patients
ici
dans ce village d’Issenheim
Matthias choisis d’opérer
sur bois de tilleul
(p. 16)
|||
je vous devine enveloppé dans l'un de ces grands manteaux que vous avez peints tant de fois dont vous avez observé les drapés les retombées les plissements
dans leurs circonvolutions vous dissimulez des formes végétales organiques charnelles vous êtes le peintre du caché du secret du crypté vous déployez un filet d'analogies lamelles de champignons chevelures ruisselantes d'eau vive pouces et index en forme de verges coquillages fendus comme sexes féminins mains feuilles écorces visages veines animaux pierres failles variations d'une même entité
tous les linéaments du monde se rejoignent
Paracelse le médecin philosophe théologien l'avait déjà
exprimé
pas de rupture entre corps et paysages
les lignes se poursuivent s'interpénètrent
le monde est un vaste réseau d'une seule étoffe
régi par un ordre secret que votre œil ne cesse de traquer
(p. 42)
pas de rupture non plus
avec la trame sonore
que libèrent
panneau après panneau
vos couleurs
entendez-vous
cris sanglots gémissements litanies murmures
violes de gambe violes de bras polyphonies
du concert des anges
aux chants funèbres
de la mélopée des paroles accordées
au tintamarre des démons
vibre dans l'air
une partition secrète
au pied de la croix
sous la terre muette
germent de futures leçons de ténèbres
(p. 44)
|||
panneaux mobiles
plis et déplis selon le mois le jour la liturgie
théâtre narratif embrassant le cercle
de la naissance à la mort
des anges aux démons
Mathis Grünewald
étiez-vous déjà
entre tous
le grand malade
et le suprême savant
face à l'intraitable réel
viendront d'autres horribles travailleurs
à leurs tours
ils arracheront quelques fragments
à la carte de l'être
(p.83)
Françoise Ascal, Grünewald, le temps déchiré, dessins de Gérard Titus-Carmel, L’Herbe qui tremble, 2021, 98 p., 15€.  


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