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(Note de lecture), Isabelle Lévesque, En découdre, par Philippe Fumery

Par Florence Trocmé


Isabelle Lévesque  En découdre Le recueil d’Isabelle Lévesque déroule un flot d’images qui semblent parler dans un rêve, du moins aux abords de la nuit, cette nuit « dépossédée ». Pour avancer dans ce théâtre d’ombres, le lecteur peut chercher à se repérer, posant le regard sur de rares lueurs ou tendant les mains vers une source de chaleur ; et tout autant se laisser perdre, cédant à une attraction d’un autre ordre : « Il faut allumer les traces / pour le brasier silencieux », 13.
Isabelle Lévesque déploie son univers magique, bienveillant : « Des images nous égarent / nous retournons vers la feuille / son bruissement », 32.
Alors il est question de braises, sur lesquelles se posent nos pieds ; de cendres où se trame la suite de nos mots, qu’« Il faut d’un bâton / tracer au plus vite », 12. Il a fallu en passer par le feu, le brasier, le flambeau. Question de vie ou de survie : brûler nos meurtrissures pour les cautériser, guérir le feu par le feu : « Nous faisons corps / en ce flambeau », 9.
Quelqu’un s’y est brûlé : « Il nous faut brûler », 29. Seule certitude, celle du prix à payer. Cela s’est passé après la lutte, ou l’étreinte ; il a fallu batailler, tirer l’épée du fourreau. « L’arme est levée », 27.
Cet engagement réclame deux êtres, et qu’ils doivent en découdre ; le chiffre deux n’en est pas moins magique : « À deux nous sommes », 18. Il arrive qu’il soit réduit à un, un « moins un » accidentel : « Il manque un signe au ciel », vers proféré trois fois, 23.
Trois lettres pour « toi ». Quelle est donc cette « loi du plus fort » ? 23. « Toi blessé », 29.
L’issue est incertaine, le toi est aussi le tu, ce qui ôte une part de vie comme ce qui est passé sous silence, comme un prénom. Nous ne tenons en main que « la mèche mortelle de notre vie », 22.
Le feu et le fer se mesurent, le premier plus fort que l’épée : « comme un feu résistant aux armes », 33. Et même si celles-ci naissent au cœur d’un brasier attisé.
Cela a voir avec le poème, le tissé. C’est « le même métier de braise », dont l’une des premières tâches consiste à démêler, à « libérer » : « Plume ou l’épée », 21 ; « ni la lune ni l’épée », 26. « Il faudra bien séparer / la nuit & le jour / en découdre », 26. « Elle ne touche ni le ciel ni la terre », 56.
Le poème, le feu, l’épée, nés du silence ou d’un cri isolé, retournent au silence ou au cri et se perdent : « J’avais ce qui perce, ‘i’ du cri », 28. « À brûler s’occupe la flamme du silence », 33.
La vie se déroule dans ce flot d’images, mais elle emprunte un fil tendu et fragile, nous laissant avancer comme au-dessus d’un vide, sur « la ligne fatale », 22 ; un fil qui nous dit à chaque pas combien le temps nous est compté : « Blanc le fil de givre / qui fond », 46. « Nous nous sommes accrochés au fil du temps », 52.
Quoi qu’il en coûte, notre chance est elle-aussi accrochée avec nos « Questions au bout d’une corde sans fin : tout / s’éloigne ou rejoint, on ne sait pourquoi le début / et la fin se fondent » 56.
Alors il nous faut recommencer : « Chaque année, penchée, je recommence », 42. C’est bien davantage le renouveau qui arrive, s’impose, toujours, partout. « Demain départ », 25. « J’aurai matin », 35. « Nous célébrerons demain », 45. L’arbre en témoigne : « Écorce. Le bouleau perd sa peau / lentement. Recoudre. Neuve la sève / par la veine acheminée », 43.
« Nous préparons un nouveau monde », 36. Le renouveau reprend les choses, les répare.
Le recueil brasse les images et les mots surprennent, ravissent. Le lecteur peut encore choisir de se fier à certains poèmes très courts, enchâssés dans l’ensemble – parfois isolés sur une page ou rassemblés pour en former une autre. Ils sont une feuille fichée sur le bois d’une porte par la pointe d’une épée ; à moins qu’ils ne soient flambeaux fixés au mur d’un couloir où nous avançons. Car ceux-là resplendissent, plus rouges au cœur des braises : « Un coquelicot prépare en douce / sa percée. À le veiller je mets / en terre le silence », 57.
Isabelle Lévesque, pour nous, « invente une fin silencieuse » à son recueil », 44.
Isabelle Lévesque, En découdre, L’Herbe qui Tremble, avril 2021, 70 pages, 14€
Philippe Fumery 
Extrait, pages 16 à 18 :

Je chuchote.
(Te faire croire que
la caresse porte
le poème.)
Je ne savais écrire. Avant l’hiver
tu pris ma forme,
douloureux pochoir de branches,
tes mains ou les feuilles,
indissociées,
voulaient un ordre écrit.
Exécuter le chant :
je ne saurais taire
flamme et le cri
– même métier de braise –
le tissé
libéré des cendres.
C’est le poème.
En rangs serrés. Proférer.
À deux nous sommes.
J’ai bien creusé, dérive feinte.
J’ai laissé, glace ou la feuille,
des vertiges plus noirs.


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