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(Note de lecture), Yves Namur, dis-moi quelque chose, par Christian Travaux

Par Florence Trocmé


Yves Namur  dis-moi quelque chose  ArfuyenUne même forme, cent fois répétée. Cent quinze fois, exactement. Des sizains toujours découpés en distique, tercet, monostiche. Une forme qui s’est imposée à Yves Namur, comme la scansion musicale du décasyllabe, à Valéry, pour l’écriture du « Cimetière marin » de Charmes. Mais une forme qui n’est pas contrainte, qui est née de l’injonction « Dis-moi quelque chose », susurrée à son oreille incidemment, sans qu’on sache à qui l’on parle, qui l’on demande, ce que l’on veut. Quelque chose. Tout est dans ce mot, cette attente interminable, et cet espoir.
Et cette demande.
Yves Namur, dans ce nouveau livre, s’essaie à la forme imposée, et à l’injonction répétée, pour tenter d’approcher peut-être ce que, nous tous, nous espérons, nous questionnons, quand nous écrivons quelque chose. Poésie, que me veux-tu ? Pourquoi donc me fais-tu écrire ? Ou es-tu cachée quelque part, dissimulée parmi les mots que je me prononce à moi-même, quand je parle et que nul n’entend ? Dis quelque chose. Dis-moi quelque chose, poésie. Ne me laisse pas. Ne m’abandonne pas, ainsi, seul, au bord de mes questions, de mes inquiétudes, mes angoisses, sans savoir ce qui sera, sans savoir même si tu viendras, si tu es là. Yves Namur dit, et quelque chose s’ouvre ici, s’ouvre un peu peut-être de ce qui fonde le questionnement métaphysique de tout poète, de tout homme, de tout être humain, dans l’attente, perpétuellement, d’un mot qui aiderait à vivre, d’un propos qui soulagerait, d’une parole qui apaiserait. Qui ferait naître fleurs et nuages, pluie et beau temps. Etoiles et lune.
A chaque injonction ressassée, naissent ainsi, paraissent et passent, disparaissent, les choses d’un monde qu’on ne peut qu’espérer entrevoir. Un monde fait d’ombres, de lumière, de vide, et d’espoir. Un monde autre, où tout fait silence un moment (le temps qu’on regarde), avant que ne s’effondrent la nuit, notre vie, la terre où nous sommes, et la tentative de comprendre quelque chose à ce que nous vivons. Pour dire cela, cette attente, cet espoir fragile (et cette inquiétude aussi de ne pas avoir de réponse, jamais, de ne pas plus savoir finalement qu’au début du jour), Yves Namur fait choix de classer, d’organiser, ce qu’il nomme lui-même des « brèves », suivant les saisons, ou le cycle du temps qui passe. Cela commence avec « l’automne », puis vient « l’hiver », et le « printemps », et « l’été », auquel il ajoute une « coda », en clôture du livre.
Tout s’efface, passe et s’enfuit, semble-t-il dire dans cette suite. Ou, du moins, le suggère-t-il. Car Yves Namur ne cherche pas, ni à dire, ni à expliquer. Surtout pas à expliquer. « La poésie moderne », disait Max Jacob, « saute toutes les explications ». Ainsi fait Namur, dans ce livre où tout dit ce qu’on ne peut dire, où tout suggère ce qu’on pressent, qu’on devine (comme Char, déjà, faisait « l’éloge d’une soupçonnée »), sans le dire ou sans le décrire, ni l’expliquer. Simplement sentir la présence de quelque chose qui nous dépasse, qui nous fuit toujours, et nous fait espérer que quelque chose d’autre existe dans les feuilles de l’automne que l’automne, dans les nuages blancs de l’hiver autre que l’hiver, dans les floraisons du printemps, ou les pluies, ou les nuits plus belles de l’été, que l’été seulement, ou le printemps uniquement. Une parole, un mot bien plutôt, qui nous soulagerait de vivre, ou ferait nos chagrins plus doux, nos larmes un peu plus acceptables, et le jour plus dansant peut-être, chantant peut-être.
Seule, sans doute, la poésie (paraît dire, alors, Yves Namur, dans cet ouvrage qui ambitionne de faire naître la poésie par une prière réitérée comme un mantra) est à même de nous sauver de cette destruction programmée qu’on devine, sitôt les deux vers du début lancés, ou risqués. Les tercets qui suivent sont abîme, inquiétude, gouffre, effondrement. Menace cachée, monde obscur. Et seule la coda de chaque texte, le monostiche qui conclut, permet de sauver, de tenir en équilibre, sans plus tomber, sur cette corde légère du vivre, le pas risqué. Vivre ainsi est notre existence. Tenir de justesse, et manquer, à tout moment presque, de choir, de tomber, glisser dans l’abîme. La parole seule, la parole poétique peut nous aider.
Ainsi Yves Namur cherche-t-il ce mot qui sauve et qui « réveille la ruche obscure » (p. 85), ce « quelque chose » qui est « de l’ordre du peu », « du simple », « de l’invisible » (p. 60), écrit-il, cette « phrase légère » (p. 70), qui n’est faite « d’aucune pensée » (p. 38), mais qui peut « ouvrir / Le silence » (p. 80), et affronter « le vide », « hélas / Toujours du vide » (p. 55). La parole poétique le peut. Comme une « parole de l’éveil » (p. 88), dit Yves Namur, mais par laquelle on trouverait paix, silence, et soulagement, à nos peines, à notre détresse. Peut-on approcher de ce rien qui est là, qui est quelque part, autour de nous, en nous peut-être ? C’est le pari que fait Namur, dans ce vœu adressé aux ombres, et qui est cent fois répété.
Cent quinze fois, exactement.
Christian Travaux
Yves Namur, dis-moi quelque chose, Arfuyen, 2021, 156 pages, 14€.
 

Extraits (p. 60 et p. 95) :

47
Dis-moi quelque chose
Qu’emportent avec eux les agonisants
Quelque chose qu’on imagine
De l’ordre du peu du simple
Ou de l’invisible
Mais quelque chose qui éclaire
|||
79
Dis-moi quelque chose
Qui me permette de donner un nom
A l’arbre à la maison vide
A l’oiseau aux passants d’un jour
Aux prairies encore vertes
A l’inconnu


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