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(Anthologie permanente) Christian Prigent, Chino au jardin

Par Florence Trocmé


Product_9782818052990_195x320Christian Prigent publie Chino au jardin aux éditions P.O.L.
Récapitulons. Maman, c'est Palmolive partout. Papa, la moraline en blablabla toultemps. Et da capo. Ou vice versa. Tu es du matin au soir sous ces douches. 8 heures : débarbouillage. 10 : en-cas de récurage. 12 : précaution de décrassage. 14 : rab de désinfection. 16 : exercice d'ablutions. 18 : grandes manœuvres de lustrations. 20 : nettoyage à fond de printemps l'été l'automne l'hiver comme au temps des primevères. Gant de crin, pierre ponce, l'essui comme en belge, douchette pour les coins complexes, le pschttt de bombe de loin pour les couennes à l'air, la poire de près et la canule intime pour les tuyauteries : on est outillé pis qu'aux hôpitaux. Même la patate ça cuit propre, à la flotte. L'endive, l'épinard : ils baignent au poêlon comme en lavabo. Le sol il se tient à carreaux, il ploie sous la Javel. L'enfant d'humain, dès délangé : jamais assez torché. Les fesses : pas un pète de suspect à la carrosserie. C'est peau de chamois après le torchon : plus rien qui chiffonne.
Ciboulot pareil. Si t'as des pensées, c'est que des mauvaises. Elles te merdouillent les fonds avec des acides qui expriment du sale. Tes instincts ? Mites, gales, tiques, puces ou poux. Hop ! la naphtaline de maintien à flot, la Marie-Rose de leçon de choses, la purge de civisme par le trou du cul, l'huile de foi de morale à la petite cuiller, la brosse comme à dents au pensement, l'œil qui te fulgure les incompétences de la conscience au laser exact, l'eau des bonnes conduites tombée sans cesse à verse du pommeau des bouches dans tes entonnoirs. Ta cervelle c'est rien que du cervelas : y a toujours quelqu'un pour le faire dégorger au sel hygiénique puis l'accommoder selon ce qu'y mêlent ses oignons. Ou tu dégages des appendices tes hontes sur le bidet dans le violet du méthylène car t'as poussé des cloques d'excès vénéneux au gland comme les gorets. C'est à faire peur, d'être si net. Écrit en gothique sur parchemin cramé aux coins qu'on a punaisé entre des photos retouchées d'aïeux : « n'approuve rien de toi qui récuré ne soit ». Donc on s'approuve pas. Ni les autres, vous. Bref : tu finis sans goût, ni sel ni sucre, soupe claire, yaourt. Ton surnom : zéro %.
Christian Prigent, Chino au jardin, P.O.L., 2021 ; 322 p., 21€
sur le site de l’éditeur :
Dans ce nouveau volet d’un cycle amorcé par Les Enfances Chino (2013), Les Amours Chino (2016) et Chino aime le sport (2017), Chino visite les jardins de son enfance. Ce livre est un roman mais rien n’est chronologique. Entre 1950 et 2019, les époques se mêlent. N’apparaissent que des mondes furtifs, des souvenirs à trous. Tout se forme et se déforme dans une langue qui passe sans crier gare de l’élégiaque larmoyant au mirliton comique, du savant au populaire, du français grand style aux argots. C’est aussi un grand éloge du jardin. Pas de lieu plus fini qu’un jardin : clos, cadastré, et aucun qui soit davantage capable d’infini. Dans tous passent les odeurs, les couleurs et les bruits qui font resurgir par associations sensorielles la matière d’une vie. Dans ce monde « merveilleux » tout parle, les morts comme les vivants ; même les arbres, les sangliers, les biscottes, la confiture, le café au lait, la lune, les étoiles et les cailloux. L’Histoire s’y déploie parce qu’au fond du décor passent des personnages qui en portent les stigmates. En 1956, à la gadoue du jardin désaffecté de J., ex-parachutiste d’Indo, se superposent les tas de boue de Diên Biên Phu. En 1957, un réveillon en famille au bout d’un lopin glacé fait sortir des sabots des grands-parents les génies de leur monde rural agonisant ; quelques photos de morts ramènent des souvenirs de 14-18 ; la guerre d’Algérie s’incruste à cause de cousins absents, envoyés aux Aurès par la IVème République. Chino au jardin est aussi le conte d’une vocation : « Feras-tu poète ? » Aragon et André Breton reviennent tout salés de la pêche à pieds. Francis Ponge reçoit en short dans son bois de pins. Sur l’estran barbotent quelques Têtes-Molles : René Char, Saint-John-Perse, Éluard.
Christian Prigent, vidéo de présentation du livre


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