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L'énergie de l'erreur de Dominique Dou

Par Florence Trocmé

Dou_dominique_lnergie_de_lerreur C’est une voix singulière et puissante qui vient aujourd’hui se joindre au concert de ceux et celles qui écrivent de la poésie. Singulière en ce qu’elle semble différer radicalement de ce qui est donné à lire aujourd’hui, quels que soient les écoles, les registres, les courants…. une poésie politique m’avait confié Dominique Dou avant la parution du livre. Suscitant en moi cette question, un peu inquiète : comment écrire une poésie politique ? Aujourd’hui ?

Or il faut bien en convenir, voici bel et bien une poésie politique, par ce qu’elle exprime et par la position, militante, de celle qui écrit. Pas de je omniprésent ici, pas de je individuel, car ce dont il est question dans ce livre ce n’est sûrement pas du petit égo tant monté en épingle par ailleurs (fut-il sacralisé en ego scribens scrutant comme trésor ses propres productions), ce n’est pas non plus de luttes locales, contingentes, corporatistes, partisanes mais bien plutôt, osons le mot, de l’espèce humaine. Serait-elle à bout de conscience, comme en dégénérescence (qui est aussi maculaire, ne plus voir net, ne plus voir au centre, être voyant à la marge seulement). C’est une écriture du désastre en cours, du désastre annoncé, désastre historique, désastre écologique, économique mais surtout ontologique. Désastre peut-être avant tout en effet de l’anesthésie des consciences (« vous ne pouvez rien dire de vos sidérations[1].»)

Ne croyez pas à la douceur des jours
Les années d’hiver sont devant nous
Prenez garde à la douceur des hivers[2]

Et l’on peut penser que git là la dimension militante de ces textes. Prendre la parole, poétique, pour avertir, pour mettre en garde, pour donner à comprendre, dans l’urgence et une forme dynamique d’ardeur car « vous n’aurez rien d’autre si vous délaissez l’ardeur[3]». Prophétiser : « j’écris devant le désastre avancé[4] »
Et si le mot consommation n’est pas prononcé, elles sont bien là, très présentes, les « vitrines » qui la disent, et les « boutiques obscures où saignent les choses / Brillantes sur des étagères ». Et il est aussi question de la « vésanie des vendeurs[5] »
Il y a du vous, il y a du nous, il y a de l’indéfini…. de l’injonction et de l’impératif, il y a de l’incantation, il y a de la prophétie, mais une prophétie très étrange en ce sens qu’elle annonce en partie ce qui s’est déjà produit, ce qui en train de se produire et n’en reste pas moins une prophétie. Pas d’autobiographie déguisée en poésie ici ! Les évocations que suscitent ces textes tournent autour de l’Ancien Testament, de l’Ecclésiaste, d’Isaïe, de Pascal, dans ces textes souvent fulgurants, tendus comme une flèche de la première ligne à la dernière ligne, portés par un souffle puissant. Des échos même de la poésie de Paul Celan, dans ce poème final « Temps anciens » :

Le soir nous admirons nous admirons
Le soir le matin le midi
Brûlant consumant nos yeux ensemble[6]

Le nous et le vous des poèmes font multitude, d’autant que leur sont associées l’ampleur, l’ardeur, la colère : «dites l’aveuglement, dites-le avec ampleur[7] ». Cette parole, c’en est une, aussi, travaille la réitération, le ressassement, avec un ton parfois litanique, incantatoire certainement, c’est une adresse à cette humanité sur laquelle pèse rien moins que la perspective d’une « nouvelle date barbare[8] ». Il y a un allant du poème, qui en signe l’urgence, il est tenu du premier au dernier mot comme par une violence, une ardeur, une colère contenues et motrices. La puissance rhétorique s’allie à la pulsation poétique, le rythme est celui des mots, du langage – poétique – et celui de la pensée – épousée par l’élan rhétorique–: il s’agit de planter le clou. Rien de systématique toutefois, chaque poème invente sa propre machinerie, mécanique conçue pour écrire à chaque fois ce qu’il y a, exactement, à dire, à écrire.
Pour terminer je voudrais attirer l’attention sur une notion étrange et sans doute importante, celle de fatigue. Épuisement de l’élan vital, cette « fatigue de grands corps sans chair vive » revient dans nombre de textes. Et semble parfois posée en talon d’Achille, mais bénéfique, de la cuirasse contemporaine, la porte d’entrée d’autre chose, pour des « humains prodigieux de fatigue mêlée de sel[9] »

Il faut dire enfin la grande beauté de ces textes, car on ne l’a pas forcément devinée jusque là dans ce que j’ai dit de cette poésie. Poésie politique oui mais poésie à part entière, en un vrai combat pour épouser l’exigence de la pensée « le mot combat ma langue / Lente devant vos désastres vifs[10] », en une recherche « pour puiser de la puissance / Pour trouver le nouveau verbe / Dans l’obscène proposé[11] ». Pas de démission, mais l’ardeur, ardeur du poème, ardeur envers et contre tout d’une forme d’espoir, de résistance : « nous avons tant d’ouvrage sur la terre[12] ». Position quasi éthique de la poésie et de sa « part d’écriture désespérée et espérante[13] »:

Est-ce ainsi que nous voulons vivre ?
grande est notre fatigue mais
(la fatigue le saura)
Puissant est le capital poétique
De nos douleurs[14]

©Florence Trocmé

Dominique Dou, l’Énergie de l’erreur, couverture de Olivier Bernex,Dumerchez, 2007
isbn : 978-2-84791-072-8, 17 €


[1]   p. 12

[2]   p. 9

[3]   p. 11

[4]  p. 29

[5]  p. 37

[6]   p. 67

[7]  p.7

[8]  p.13

[9]  p.  27

[10]  p. 23

[11]  p. 52

[12]  p. 52

[13] p. 27

[14] p. 61


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