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(Note de lecture), Benoît Colboc, Topographie et Tremble, par Stéphane Lambion

Par Florence Trocmé


Les éditions Isabelle Sauvage accueillent dans leurs collections deux textes de Benoît Colboc, qui signe là ses premières publications : Topographie et Tremble, deux livres qui se répondent bien qu’ils diffèrent significativement du point de vue formel – le premier faisant quatre-vingts pages environ et relevant presque du récit autobiographique tandis que le second tient sur moins de dix pages et adopte une forme beaucoup plus fragmentée et hermétique.
Topographie est un récit de famille dont la structure en six parties est représentative du rapport du narrateur-personnage aux autres membres du foyer : le livre s’ouvre et se clôt sur la figure du père dont l’absence soutient l’ensemble du récit. Il est inaugural, il lance le récit avant de le couper aussitôt en plein élan : ce père agriculteur, bourru, dont le manque d’amour est difficile à pardonner, se suicide dans la maison familiale. Le lieu principal de Topographie est ainsi posé : il ne s’agit pas d’un lieu que l’on peut placer sur une carte, comme le laissait entendre le titre, mais un lieu symbolique, à savoir l’absence du père qui ne se résout que dans la dernière partie du récit, lorsque le lieu symbolique devient lieu concret avec l’« en-terre[ment] » – et le choix de l’auteur de scinder ainsi le mot est chargé de sens dans ce contexte agricole où c’est le rapport à la terre qui a poussé le père à bout.
Plutôt que sur une carte, la topographie du récit de Benoît Colboc s’esquisse donc sur une feuille de papier avec des mots, pour créer un réseau sensible des relations familiales sur l’arrière-fond de l’absence du père. Les figures de la mère, du frère et de la sœur y sont présentées de façon assez factuelle, comme par souci de compléter la topographie, et laissent en leur milieu un autre vide : celui de « chaque vendredi » (titre de la troisième partie), où le narrateur-personnage devient « l’enfantprêté » et est confié pour la soirée à un couple âgé qui l’attouche. Cet événement récurrent (qui n’est exposé au grand jour dans le cercle familial que longtemps après l’enfance du personnage-narrateur) semble être le point d’équilibre du récit qui, maintenu en tension entre l’absence symbolique du père et sa présence finale en terre, remue les traumas de la voix poétique et révèle ainsi la construction fragile d’un moi qui trouve son aboutissement dans Tremble.
Tremble, en effet, a un aspect métalittéraire plus prononcé : derrière des références à Dostoïevski ou à l’acte d’écriture lui-même, on voit le narrateur-personnage de Topographie arriver à maturité en acceptant les traumas (l’absence du père, le viol) et en les transformant en matière à littérature – « Tremble » est un verbe, un arbre, mais surtout un nom propre, un être humain symbolique, composé de la somme de tout ce qui était sous-jacent dans Topographie.
C’est en cela que les deux textes de Benoît Colboc se répondent admirablement et fonctionnent comme un diptyque révélateur d’un passage du fait biographique à sa sublimation littéraire : là où Topographie reste factuel et relativement clair, Tremble est un condensé intense où les pages (non coupées) sont à déplier lors de la lecture, tant physiquement que symboliquement – et ce faisant, l’auteur donne à entendre une voix singulière et puissante, construite sur des agrammaticalités, des doutes, des tremblements, mais qui se fait d’autant mieux entendre.
Stéphane Lambion

Benoît Colboc, Topographie, éd. Isabelle Sauvage, 2021, 86 p., 15€
Benoît Colboc, Tremble, éd. Isabelle Sauvage, 2021, 24 p., 5€
Tremble moi le père
dans mes mains
ce tout de lui de moi
par nos mains
nos pleurs
je garde un peu des siennes avec Tremble
pour jouer les doigts
libres de dois
encore homme
encore Tremble
sans le père
rester le fils
qui file les souvenirs
et garde Tremble essentiel
au rythme qui bat
la cadence à vivre
que le marbre ne dit pas
sans trembler
et le sentir
tout bas.
(Tremble, p. 15)
S’égarer arrive.
Le silence et la peur pour plus tard
à l’écriture de ne pas fuir l’enfantprêté petit frère toc
toc des parents du frère de la sœur des portes fermées
de la maison des habitudes.
La porte entre les souvenirs.
La mort du père pour les ouvrir.
Son souvenir qui laboure sa terre et mon monologue
pendu à sa plaine.
Ces paragraphes jusqu’au dernier et entrevoir
je l’aime tout bas.
(Topographie, p. 80)


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