Magazine Culture

(Note de lecture), Denis Montebello, Beaudésir, par Philippe Di Meo

Par Florence Trocmé


Afflux et fluctuations ou le présent du passé

  

Beaudésir-couv-page001-550x1086
Le mot « Valeton » apparaît dès le début du livre. Ce « diminutif de valet » renvoie à « vaslet » qui a donné « varlet », « garçon », « jeune homme », et qui peut même signifier « fils de roi ». Ce vocable retrouve dans son rhizome racinaire « vassal » issu du celtique « vasso », « serviteur ». Le radical a donné le verbe « s’évaltonner » dans le français régional de Lorraine. Son participe passé, « évaltonné », désigne une action ou un comportement non conforme dont on se moque. Une irrégularité tout aussi bien. À peine ouvert, c’est ainsi que s’engrène le texte d’un ouvrage inclassable au gré des harmoniques d’une « écoute de l’étymologie. »
L’écrivain tire sur un fil, ce n’est pas qu’il veuille démêler toute la pelote, tâche par trop démesurée, non, il entend seulement égrener une à une les sensations qui tour à tour affluent ainsi entre oralité et littérarité bien comprises.
Le thème paraautobiographique sollicite Denis Montebello. Il ne se lance pas pour autant à la poursuite d’un temps perdu à retrouver. Car derrière chacun de nos émois, nos temps vécus enfuis ne sont jamais totalement absents. Tout trouvés, selon des proportions variables, d’émergence en réémergence, nombre d’entre eux sont toujours déjà là. C’est pourquoi, dans sa prose dansante, entreprend-il spontanément, non sans verve, de commenter l’intersection de l’hier et de l’aujourd’hui qui nous constituent. Celle d’un affleurement d’un jadis en symbiose provisoire avec un maintenant voué à la métamorphose. C’est d’ailleurs pareille rencontre qui donne toute son intensité au ressenti.  
Aussi, la dynamique de son propos n’est-elle pas essentiellement orientée vers le passé, elle atteste plutôt d’une projection du moi dans un futur, pour l’heure ancré dans un présent impressionniste, redevable d’une bonne part de sa consistance à certains de ses présents passés. D’où l’allure vaguement diaristique de son livre mais comme d’un journal où, d’associations en associations, le vécu s’assortit toujours de ses concordances, de ses phylactères. Le fil tiré, n’importe lequel, finit par imperceptiblement tramer un réseau ondoyant défiant toute chronologie. Linéaire en tout premier lieu.
Alors, une logique narrative bariolée découle symboliquement et logiquement de ce parti pris consacrant le travail souterrain d’un passé dans la formation d’un présent. Une chanson de Guy Béart, Le Bal chez Temporel, citée dans le cours du texte, le rappelle à sa façon. Dans ce processus, la mobilité de l’affectivité rencontre avec bonheur le mouvement de la langue.
Une chanson ? Certes. Car les sinueux méandres de la coprésence de quelques-uns des temps passés d’une vie dans chacun de ses instants mêle sans plus de façon, et sans hiérarchie aucune, philologie, anecdotes piquantes, parler populaire, vocabulaire recherché, jargons divers, éloquence régionale et autres merveilles lexicales. Sorte d’inachevable inventaire, une plasticité de cet acabit nous séduit. « Car toute construction est faite de débris », écrivait à raison Marcel Schwob. Dérogatoire et revendiqué, le polymorphisme stylistique « évaltonné » de l’écriture caractérise un langage capable de se lover au ras de la sensation la plus capricieuse pour en exalter la résonance.  
Du texte ainsi conçu, nous savourons les bonds et les rebonds, les accidents, les allers et retours, les virevoltes, les lacérations, pour ne rien dire des ravaudages. Attendu que tout s’avère digressif et que, dans le même temps, tout s’avère unitaire dans la logique émotive d’un texte déverrouillant les rhétoriques convenues. L’arabesque pourrait en être l’équivalent graphique quand le le pizzicato en incarnerait le décalque musical.
De surcroît, s’il s’anamorphose, un moi si fort dans son être fait néanmoins immédiatement retour dans l’épaisseur du social. Seul Giuseppe Bonaviri avait, semble-t-il, jusqu’ici réalisé semblable prouesse. Le moi s’avère concentrique à cette Lorraine tant aimée où le scripteur a vécu la première partie de sa vie. L’un y renvoie toujours à l’autre. Cette contextualisation partielle de son propos ne lui interdit cependant pas de porter son regard ailleurs car il a l’identité multiple. Celle du Rochelais, et même du Girondin, pour ne rien dire de l’Italien lorrain, du latiniste et de tant d’autres riches composantes spatio-culturelles. Mais Denis Montebello n’est-il pas aussi l’auteur d’un remarqué Sentiment océanique* ?
Philippe Di Meo

*Denis Montebello, Le sentiment océanique, La Rumeur des âges, 1988.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Florence Trocmé 18683 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines