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(Anthologie permanente) Charles Pennequin, Dehors Jésus

Par Florence Trocmé


Dehors-jesusCharles Pennequin publie Dehors Jésus aux éditions P.O.L. – parution le 10 février 2022
Les mots n'ont aucun intérêt.
Les mots ont été faits et refaits par les prétendants, les prétentieux à l'écriture. C'est pour ça que les jeunes ne croient plus en la littérature, au pouvoir des mots. Parce que pour eux il vaut mieux brûler, brûler plutôt que d'avoir des mots. Parce que les mots leur ont dit. Toutes les écritures. Tous les écrivains avec leur écriture ça leur a dit. Toute la littérature qui s'étale comme ça pour ennuyer le monde. Tous ceux qui prétendent en être. Tous les prétendus et les prétendants. Toute la prétention littéraire qui utilise les bons mots, le bon style, leur a dit. C'est pour ça que les jeunes ne croient plus aux mots. Ils ne pensent pas que ça leur parle, alors qu'on pourrait leur dire qu'il faut soulever. Que les mots soulèvent. Que les jeunes peuvent se soulever par les mots. Oui, les mots ça soulève. L'art soulève. Est soulevant. L'art et dedans les mots. L'image avec dedans des mots. Le geste avec dedans toute sorte de soulèvement, ça soulève.
Bobi est au Bordiot. Bobi au Bordiot lit Bob. Bob Morane. Il aime pas Bob Bobi mais au Bordiot on lui a dit Lis Bob Morane Bobi. Bobi a pas le moral. Bobi voulait pas lire Bob Morane au Bordiot, mais la grande peste brune. C'est ce livre-là que Bobi veut lire. Il veut lire sur la peste alors il finit par rendre Bob Morane au bibliothécaire du Bordiot. Le bibliothécaire du Bordiot lui dit T'es sûr Bobi ? t'es sûr de pas lire Bob Bob i? T'es sûr que tu veux lire La Peste au Bordiot Bobi demande le bibliothécaire ? Bobi dit Oui qu'il est sûr. T'es sûr que c'est la grande peste brune Bobi et pas La Peste tout court ? demande à Bobi le bibliothécaire. Le bibliothécaire est aussi un détenu, un vieux bibelot du Bordiot et Bobi lui est un ado. Bobi est au Bordiot alors qu'au Bordiot rien n'est prévu pour les ados comme Bobi. Il fait sa promenade tout seul dans le Bordiot Bobi. Sa cellule se trouve tout au bout d'un grand couloir. Bobi rentre de sa promenade et regarde la télé dans sa cellule. Son travail devant la télé c'est de faire des étiquettes pour l'aéroport Bobi. Bobi veut maintenant lire pour se changer un peu les idées. Bobi veut lire La Peste Pour changer d'air qu'il dit. Bobi ça lui fait pas peur le nombre de pages en fait, car dedans le livre Bobi sait que ça sera tout noir. Dedans ça va parler de la grande peste et la vie sera toute noire comme de la suie noire. Bobi se souviendra après de La Peste comme s'il avait vécu une histoire où c'est toujours la pleine nuit noire. Bobi lit le livre et c'est comme s'il se promenait dans la peste bubonique des villes. Il est dans les ruelles sombres Bobi, il croise tout plein de pestiférés. Bobi aime ça La Peste d'Albert Camus. C'est quand même bien mieux que Bob Morane bordel dit Bobi au Bordiot.
Les comiques pensent qu'il faut rire de tout. Ils parlent toujours de ce tout dans le rire. Il faut tout rire disent les comiques. Mais ils parlent d'un tout d'une certaine société. Les comiques parlent d'une société avec son petit rire dedans. Un petit rire coincé dans son idée du tout. Mais ce n'est qu'un petit tout, un petit tout où la société tousse. Elle tousse s'il s'agit de rire de son tout à elle. Mais de quel tout parle la société qui tousse ? Et eux les comiques veulent rire là-dedans, dans ce petit tout où la société s'est mise à tousser si on en riait. Mais on n'a rien à rire dans ce tout de cette société-là, c'est ça qu'il faut dire aux comiques sociétaires. Le petit tout dedans, avec son petit rire qui fait tousser la société. Ils loupent tout les comiques quand ils disent qu'il faudrait rire de tout, car ils ne rient de rien au fond. Au fon du fond ils vont dans le rien-rire de la société qui interdit qu’on rie dans le petit tout sociétal. C’est vraiment à pleurer cette société. Cette société de comiques qui voudrait rire d’un rien dans son tout petit tout.
Charles Pennequin, Dehors Jésus, P.O.L., 2022, 352 p., 20€, pp. 67-70. Parution le 10 février 2022
Sur le site de l’éditeur :
« Oui, Charles Pennequin a écrit une ‘vie de Jésus’. C’est un peu la sienne et celle de tous les autres. Jésus est dans la ville. Il va en Belgique pour voir son amoureuse. Il voit ses potes dans les galeries d’art. Mais Jésus préfère toujours aller dehors. Jésus dit : ‘Soyez passant. Passez de l’en-dehors à l’en-dedans. Et soyez perdurants. Éternisez-vous dans la passade.’ C’est un peu comme des vacances. ‘Dehors c’est la vivance’, dit Jésus. Pour lui, ‘nous sommes des machines qui se mettent à penser. Et les pensées passent dans nos paroles et par nos doigts.’ Avec toutes ces vies humaines qui l’entourent : E.G.F.L.D.P.R (Eugène Gaston Florent Léopold Désiré Parfait Réussi) et Ludivinenfant, qui devient ensuite Lulu, la femme d’E.G.F.L.D.P.R, et qui veut s’enfuir de l’EHPAD où ses enfants l’ont placée, pour enfin rejoindre les lointains. Mais aussi Bobi ou Charles Péguy. Son pays, sa famille, ses amours. Jésus va passer tout ça par le fil de l’écrit. Son énergie pensée-parlée-tracée.
Jésus est avant tout, pour Charles Pennequin, un poète. C’est même tout un poème, depuis l’enfance du petit-Jésus dans les paysages nordistes jusqu’à aujourd’hui, où le poète trace dans le sable sa pensée inquiète sur le monde. Dehors Jésus est un livre avec des histoires, comme celle du jeune Bobi, l’adolescent en détention. Jésus, c’est aussi la main de Charles Péguy, le devenir des poètes-poissons, et des solutions pour le ‘vivant extrêmophile’ ».
On peut aussi voir deux vidéos où Charles Pennequin lit des extraits du livre, feuilleter le livre et découvrir la biobibliographie de Charles Pennequin.


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