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(Note de lecture) Jean Daive, Penser la perception, par Christian Désagulier

Par Florence Trocmé


Jean Daive  penser la perceptionDe l’homme qui fut une voix plus de trois décennies durant à la radio lors de Nuits magnétiques et d’hebdomadaires Peinture Fraîche sur France Culture, le timbre et phrasé font encore vibrer l’air de mémoire d’auditeur rafraîchie par ce Penser la perception.
Sur ce qu’il semble décisif à l’advenue de l’œuvre, ce commun mystère sous-jacent, récurrent, à l’explicitation duquel Jean Daive s’est attaché obstinément et poursuit par la transcription, interviews après rencontres : d’où venue cette sensibilité de capteur piézo-électrique et comment l’influx des perceptions qui préforme la matière de pensées des artistes se concrétise à l’œuvre ?
Un essai hors-norme, à l’agencement des entretiens qui tient du montage filmique, entrecoupés d’images fixes, dessins, photos en série aux dialogues reproduits à l’hésitation, aux silences près comme musicalement, tous entretiens singuliers et représentatifs choisis dans l’encyclopédique archive sonore constituée auprès de ceux des artistes réputés les plus grands aux plus méconnus qui, à côté du vumètre aux clignements de faux cil du Nagra, se prêtèrent aux questions pronominales du reporter qui sont aussi celles de l’enfant qui ne sait pas et veut être initié ou bien qui sait et veut être rassuré.
Et nous lecteurs à travers lui demeurant insatisfaits, ignorants et inquiets, puisque les mots qu’on a parlés ne chercheraient en fin de compte qu’à faire disparaître la cause qui a provoqué le tableau, la photographie comme le film ou le livre, puisque l’œuvre qui la recrée, la fait disparaître se faisant : l’œuvre d’art en tant que phénomène successif perpétuel d’effervescence et de coalescence de la pensée dans la matière, Penser la perception en tant que programme infernal.
Ainsi l’œuvre du peindre est parlée par Jean-Michel Alberola dont les toiles vont au cadre comme le vers à la ligne, par Georg Baselitz pourquoi figurativent-elles à l’envers, Hans Hartung aux éclairs dirigés et contre quoi ou qui visé tiré par le premier tir au fusil de Nikki de Saint-Phalle, outreparlés les époustouflants dessins de Gérard Garouste… ; racontées les œuvres du photographier l’héroïne déchue d’Antoine d’Agatha, les circonstances des photographies dans les Passages parisiens avec Walter Benjamin et les rocambolesques de James Joyce par Gisèle Freund… ; ainsi l’œuvre du filmer avec la caméra de guerre sans solution de continuité de Joris Ivens comme le sauter à la corde sous les canopées de Pipilottti Rist…; et les épellations architexturales de Marcel Broodthaers de quels côtés penchent-elles… ; auprès de celles de l’écrire avec Francis Ponge face aux prairies euclidiennes à Bar sur Loup…
Avec ce Penser la perception, ou comment composer un essai transgressif en sorte de tragédie sans catharsis, Jean Daive qui se sert du rasoir d’Ockham en le tenant par la lame tandis que provocateur avec délicatesse, il nous suspend à des lèvres, composerait en anagrammatique revuiste virtuose, une revue à numéro unique fff après fragment, fig. et FIN, une série scénique dont la structure dramatique travaillerait à une sorte de maïeutique par procuration si l’on veut bien se souvenir que Jean Daive est un écrivain de poèmes, c’est-à-dire un reporter de la partie décimale des mots irrationnels, ils le sont tous, incommensurables.
J’aurais aimé petite souris élire domicile dans la poche de la veste de Jean Daive ou bien à défaut me séparer de mes poils de chat pour la confection de la bonnette du microphone tandis que Le vent de Joris Ivens...

Christian Désagulier

Jean Daive, Penser la perception, éditions de L’Atelier contemporain, 2022, 400 p., 25€
« Quand j’ai vu pour la première fois Le déjeuner sur l’herbe se déroule dans ma tête une autobiographie mêlée à celle d’Edouard Manet. Je veux par là-même me démontrer la clairvoyance considérable de la pensée d’Aby Warburg qui a cherché les strates associatives à travers le temps, les strates associatives à travers les images ou icônes ou prototypes ou archétypes…
« Une incessante permutation dans l’art du XXe siècle, qui se poursuit au XXIe siècle, de l’écriture et de l’image permet ce constat : l’image n’est plus à regarder mais à lire, et l’écriture n’est plus à lire mais fait image. LA démonstration repose sur une construction rigoureuse. Elle part de Mario Merz avec les écritures au néon et se termine avec les inédits de Marcel Broodthaers qui pour moi serait aussi important que Ludwig Wittgenstein en ce qui concerne la pensée de l’image…
« Le déjeuner sur l’herbe n’est pas ce que je vois. Il n’en est qu’une transformation au cours des siècles arrêtée par mon regard. Il y a l’image et les images – les images supposent une narration différente de celle de l’image. Ce livre je l’ai conçu (construit) comme un roman où les épisodes interviennent, se suivent dans une dramatisation qui transforme la parole de chaque artiste selon un programme et ses intentions… »
(extrait de la préface Percevoir l’image et les images)
Fiche du livre sur le site de l’éditeur


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