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(Anthologie permanente) Semaine spéciale Christophe Tarkos, Le Kilo, 1

Par Florence Trocmé


Kilo-cvDouble évènement, dont les deux branches sont liées d’ailleurs, nous le verrons, autour de Christophe Tarkos. Une exposition au Cipm et au Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur en premier lieu et une parution-évènement chez P.O.L., un très gros livre d’inédits dont nous conterons l’origine dans l’anthologie permanente de cette semaine qui sera entièrement dédiée à Christophe Tarkos.
Une œuvre parmi les plus déterminantes de la poésie contemporaine
De l’excellent dossier de presse reçu par Poezibao, en accompagnement du livre, j’extrais ces premiers éléments
« Christophe Tarkos naît à Martigues en 1963. Il meurt en 2004 à Paris. Il repose au cimetière Montparnasse. Sur sa tombe est gravé le mot poète. Au début des années 1990, il vit encore par intermittence à Marseille. Il est diplômé de Sciences politiques. Il enseigne l'économie mais il décide d'arrêter. Il veut se consacrer exclusivement à la poésie. À Marseille à cette époque, le Cipm existe. Il est invité au Cipm pour la soirée des ‘Inédits 1993’. Il crée son nom. Il change d'état civil. Il se fait connaître du monde poétique en prenant littéralement d'assaut les boîtes aux lettres de ses membres. Christophe Tarkos s'invente un savoir faire et fabrique en moins de dix ans une œuvre qui compte parmi les plus déterminantes de la poésie contemporaine. »
Une exposition
En partenariat avec l’Imec (Institut Mémoires de l’édition contemporaine), ‘Tarkos poète’ est une exposition conçue par le cipM (Centre international de poésie de Marseille) sur une proposition de son directeur Michaël Batalla. Avec le concours de Valérie Tarkos, en collaboration avec les éditions P.O.L. et la participation du [mac] musée d’art contemporain et du Service des bibliothèques de Marseille.
Les commissaires de l’exposition sont David Christoffel et Alexandre Mare.
L’exposition se tient du 19 février au 15 mais 1922 à Marseille
Un livre
Les éditions P.O.L. publient en lien étroit avec ces évènements un fort volume de 800 pages, volume de poèmes, textes et dessins, entièrement inédit et qui constitue un véritable évènement.
« Ce volume de poèmes, textes et dessins, entièrement inédits, est un événement. Fruit de recherches effectuées ces dernières années dans les fonds des archives Tarkos de l'Imec, dans des collections privées et celles du Frac Provence-Alpes-Côte d'Azur. Ce sont, pour une part, de véritables livres qui ont été découverts : Le Kilo, La Terre, Fermeture, qui n'avaient jamais été publiés. S'ajoutent de nombreux poèmes et textes de performances, toujours inédits, et enfin une sélection de lettres et de notes de travail dans lesquelles Tarkos fait part à ses destinataires de ses projets d'écriture, ou adresse, par exemple, une extraordinaire ‘demande d'emploi de poète’ à différentes institutions et entreprises. Pour Tarkos, poèmes, écriture, mots et dessins participaient d'un même projet artistique. Cette édition reproduit ainsi plus de cent-trente dessins et dessins-poèmes, inédits également. Tous les textes et documents publiés sont précisément référencés et datés. »
Première série d’extraits du livre

[Poids]

Proust, Du côté de chez Swann, Folio, Gallimard
         310    grammes
Une chaussure d'homme usagée, ma chaussure, en cuir
         480 grammes
Un paquet de cigarettes Winston Light 25 cigarettes
         38 grammes
Un couteau à viande tranchant
         40 grammes
Une cassette audio Ode on the Death of Henry Purcell, John Blow, The Deller Consort
         80 grammes
Un avocat bien mûr
         255 grammes
Mon tee-shirt gris-bleu à manches courtes en coton
         310 grammes
Le dictionnaire Le Petit Robert
         1 880 grammes
Libération du mercredi 9 juin
   130 grammes
Un œuf
   70 grammes
Une chaussure de femme, bleue avec des points dorés
   170 grammes
Tes lunettes et tes bagues
   50 grammes
Un baiser
   200 grammes
Mon jean usé et rapiécé
   820 grammes
Les clés de l’appartement
   40 grammes
Un pain frais couronne
   400 grammes
Un coussin
   1000 grammes
Un parapluie blanc et rouge
   480 grammes
Un slip en coton gris
   60 grammes
(p. 23-24)
*
LE KILO

Dans un caveau, dans la banlieue parisienne, se trouve un cylindre d'acier. Ce cylindre pèse un kilo.
Il est gardé par Monsieur Jean Terrien. M. Jean Terrien s'occupe du nettoyage et du gardiennage du cylindre. Jean Terrien : Je m'appelle Jean Terrien, mon bureau est au bout du couloir, le caveau est en dessous, le cylindre est dans une armoire en fer.
(*Le cylindre mesure le poids de toutes choses.)
Il ne faut pas poser une main sur lui, il est le poids de toutes choses.
Le vent. Il pleut. La pluie. L'eau de pluie, son humidité qui s'infiltre dans l'air. La différence de l'eau avec l'eau. Le poids des eaux.
Jean Terrien, préposé au nettoyage est grand, est mince, est blanc, il a un visage aux traits droits, les cheveux noirs et courts.
Toutes les sortes d'eau.
– Je m'intéresse à lui. Je nous sens tous les trois à part, sans combativité. Peut-être il nous manque quelque chose.
Jean est à ce poste depuis maintenant dix ans. Il fut d'abord étudiant puis ingénieur.
(attendre avant d'arriver au kilo)
Tout n'est pas liquide comme l'eau, tout ne peut pas prendre toutes les formes et tous les noms, l'esprit du temps veut nous faire croire que tout peut s'apparenter à une autre forme que la sienne et lui ressembler tant que ce serait pour ainsi dire interchangeable : l'un pouvant être approximativement l'autre, ils s'échangeraient, l'un devenant l'autre et le contraire. Ce serait comme si oui et non se disaient d'un son mouillé ilyôn.
L'air pèse.
Le poids de l'air est mesurable comme le poids de toute chose est parfaitement mesurable à l'aide.
Le cylindre en métal gardé par Monsieur Jean Terrien est petit et brillant. Son nom est K. Un médaillon ovale en fer avec l'inscription K en caractère gothique en noir le recouvre suspendu par une chaînette. Son nom est K en caractère gothique. Il pèse un kilo.
Le petit cylindre est (kilo se trouve) sur l'étagère du bas du coffre de la cave de la maison du bureau de Jean Terrien dans le quartier jouxtant le parc de Saint-Cloud le long de la Seine dans la commune de Sèvres-sur-Seine parmi la banlieue de Paris.
Ce cylindre ne se confond pus avec les autres cylindres, car il a un médaillon où est inscrit son nom d'une lettre. Aucun autre n'a ce médaillon avec cette lettre de cette sorte de caractère. On ne peut pas se tromper. Jean Terrien garde le petit cylindre métallique dont le nom est K et lui seul. C'est celui-là.
On croit qu'une chose peut progressivement prendre une autre forme et ne plus être ce qu'elle était, mais qu'elle serait devenue autre chose, sans que l'on sache alors vraiment si dans le changement elle est restée une chose ou non, c'est-à-dire une chose qui n'existerait pas vraiment par elle-même mais qui serait due à une sorte de changement progressif normal et plus ou moins lent suivant ce qu'elle subit comme changement d'un moment à l'autre.
Mais toutes les choses ne sont pas interchangeables, déplaçables, transposables, remplaçables...
Souvent, on pourrait dire
pourtant il existe certaines choses qui ne peuvent pas être enterrées, puis lentement construites pour la remplacer.
(il est petit)
Le cylindre gardé par Jean Terrien est de forme cylindrique. Jean Terrien : la forme cylindrique est la meilleure pour rester posé. La forme optimale serait d'être sphérique. Mais la meilleure forme pour tenir sur la base plate est le compromis entre la sphère et le cube, c'est-à-dire le cylindre, qui est rond et en même temps droit et qui a une forme régulière normale.
(...)
pp. 49-51
Christophe Tarkos, Le Kilo et autres inédits, édition établie par David Christoffel et Alexandre Mare, P.O.L., 2022, 800 p., 32€.


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