Magazine Culture

(Note de lecture) Benjamin Demeslay, Bivouac, par Mazrim Ohrti

Par Florence Trocmé


009255807Les éditions Tituli dont le catalogue ne cesse de s’étoffer de surprises en surprises nous livrent ici un premier recueil plutôt bien abouti, d’une belle densité qui invite à une lecture lente et attentive. Une lecture digeste en dépit de ce que laisse présager la forme quasi calibrée de poèmes en prose luxuriants sur 156 pages. Pour un ton lyrique assez fluide au final, ciselé et recouvert d’or fin (juste ce qu’il faut). Lire Bivouac revient à se nourrir de la langue.
L’inspiration de l’auteur tient dans l’exploration du deuil. Thématique qui renvoie chacun d’entre nous à sa propre histoire, puisant à ce qu’il faut bien nommer d’irréparable. Redonner vie aux êtres disparus par l’incarnation du verbe bien que « L’image a disparu, et les os ne persistent pas (…) Ce jour parle comme Démocrite, comme Epicure… ». Cette épiphanie recouvre l’idée d’un monde dont le flux charrie le deuil autrement qu’avec des larmes. Un monde dont le livre commence de s’écrire sublimé par un véritable hymne à la vie à rebours de tout désespoir. On sent chez Benjamin Demeslay, ce besoin de recenser la nature, sa beauté primordiale, l’infinitude du monde sous ses instances les plus diverses et ses philosophies insondables, « Dans l’à peu-près d’ici et les limites, / Les vagues de la puissance / – Unique qui tient dans la matière / l’Also sprach… de Zoroastre la chrysalide. / L’idée et le projet de la larve. ». Le mythe confronté à la réalité, la culture à l’expérience poussent l’auteur à prendre son destin en main sur une échelle de valeur inédite causée par la douleur de la disparition. Cette perte essaime dans le livre (cf « Le père partout »), dans « Les champs d’absents » où « les morts, subitement ont plu ». Mais « Les deux Corps du Roi » n’expriment-ils pas également ce don supranaturel qui transcende la mort physique, cette « Sphère d’immunité » qui nous échoit ? Dans « Le jour de Robinson », l’élan vital restaure le sacré. L’auteur traque silencieusement le monde sous un nouvel ordre de préoccupations peignant celui-ci sur la page avec des couleurs vives et nuancées. Ici, la marque du temps s’impose au livre sous les quatre saisons (lors d’une année précise : 2017) en quatre sections. Le cycle de la vie identifié par ce chiffre comporte nécessairement l’acceptation de la mort. Personnages réels, mythiques, littéraires, tous trouvent leur place dans le cœur et la raison de l’auteur : « Achab », « Mère », « Les hommes périphériques », autant dire anonymes, depuis les âges des « pilotis et demeures / Lacustres aux battements des eaux ». De même que Jack London, dont le poème est précédé de sa photo, à l’âge de 9 ans en compagnie de son chien, en 1885. Figure tutélaire sans doute, dont la notoriété, le statut culturel, dépassent l’homme ramené dans ce poème à sa nudité fragile. Il y a un besoin d’unité avec le monde comme légué chez Benjamin Demeslay, contribuant à son unicité, en quoi le poème est d’abord un médium. La seconde photo du livre (encore plus atypique) représente le buste du Comte Claus von Stauffenberg qui se livra à un attentat contre Hitler. Une fois encore, que représente l’homme (ou son image) jeté en pâture à l’historiographie ? « les idoles / Se fracassent – motus est trop subtil. » Solutré, Chauvet regroupent des empreintes tout aussi fortes qu’en des lieux plus proches de nous dans le temps.
Devant l’impossibilité de définir l’essence de l’être, l’auteur va au réel armé de son bâton de pèlerin pour fouiller la matière animée ou non. Et le poème s’impose comme marque vivante ultime, ultime religion unissant le vivant à la mort, l’amour à la mort, peu importe l’idée d’arrière-monde admise par notre civilisation reléguant par ailleurs la nature à un « Jardin des plantes ». Plus beau est le mystère par sa distance résolument infranchissable laissant paraître (juste ce qu’il faut) l’âme du monde : « Sauras-tu jamais rien de personne / Orang-outan ? X : J’ignore en fait / Ce qu’est l’existence d’un poème de Trakl (…) »
Mazrim Ohrti

Benjamin Demeslay, Bivouac, Editions Tituli, 2021, 162 p., 17€.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Florence Trocmé 18683 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines