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(Note de lecture) Valentin Degueurce, Mihubi, par Isabelle Baladine Howald

Par Florence Trocmé

(Note de lecture) Valentin Degueurce, Mihubi, par Isabelle Baladine HowaldPremier livre de Valentin Degueurce, Mihubi qui parait aux éditions Unes, est déjà un livre à la fois hanté (la mer, notamment... beaucoup de poètes écrivent sur la mer aux éditions Unes, qui sont à Nice, pensant simplement déjà à Eric Sautou ou Ludovic Degroote, sans parler du Venise de Jean-Gilles Badaire) et très tenu, maîtrisé. On ne sait ce qui est vrai, ce qui est rêvé, s'il s'agit d'un moment, est-ce un espace, est-ce un être, l'emprise d'un verre, d'une fumée, d'une fièvre ? Est-ce vrai, qu'est ce qui est vrai, d'abord ?
On ne sait pas vraiment où l'on est, quel est le lieu où celui qui raconte est, ni qui il est. C'est une sorte de voyage, c'est peut-être un rêve : " mon sommeil est sans bruit, de peur qu'ils ne reviennent ".
Il décrit les " masses apatrides/du bois " qui viennent et repartent avec les vagues : " la plage/à chaque inspiration montre ses os ". On le voit, peu de douceur mais des os, une gueule, un crachat, des modes âpres que Valentin Degueurce n'hésite pas à répéter, comme un martèlement. Les bois qui blanchissent sont comme les os de la forêt qui arrivent sur le sable. De quel corps est-il, celui de la terre ou celui de la mer ?
" Fléau, ma plage, ramasse les bois fabriqués morts qui viennent gésir à l'aube ", " la plage est ce charnier " de bois charrié qu'il faut sans cesse porter, enlever.
Ce flot d'eau, de bois, ce mouvement soulevé m'évoquent le Bateau ivre, ce qui n'est déjà pas rien.
Le je, très neutre, s'en va, il arrive à Mihubi, la montagne. " Je cherche le point fidèle où se forme le bois ". Mais il faut faire des rondes pour faire face au monde sauvage, réel ou monstres d'enfance. La nuit est terrible. On ne sait plus si la fièvre l'emporte, qui fait venir le parfum des cheveux d'une fée ou d'une sorcière, que lui a-t-elle fait boire " elle approcha un bol regardant à travers moi ". Cette nuit sur la montagne aura été comme une initiation chamanique.
Je pense ici : ce rouge de Mihubi me rappelle le jaune de Juliau, la colline de Nicolas Pesquès, dans l'obsession. Le texte est lancinant, tout se rejoint dans la tension :
" à notre nerf à Mihubi à la terre et à moi ".
" qu'avons-nous ouvert ? "
La boite à cauchemars, le rêve éveillé, une drogue, une autre réalité ?
" dos au lac essoré de Mihubi, l'eau essorée froissée
l'eau de robe
droguée, nerveuse, cabrée, souvenante
chambrée
cha ude
à la peur la gorge passait dessous
".
En tout cas une force impressionnante, presque tellurique, un effroi, mais aussi une façon de se mettre en face, des répétitions jamais gratuites pour un premier recueil très puissant.
Un jeune poète à suivre absolument.
Isabelle Baladine Howald

Valentin Degueurce, Mihubi, éditions Unes, 2021, 50 p, 15 €
Sur le site de l'éditeur
Valentin Degueurce est né à Besançon en 1990. Après des études de biochimie, de philosophie et d'épistémologie à la Sorbonne, il quitte l'université en 2014. Il multiplie les périples dans les Alpes, sur la côte méditerranéenne française et italienne, où il occupe divers emplois manuels, et se lance dans l'écriture poétique. Il rejoint à la même époque la " Société de distribution du sensible ", association favorisant la création d'œuvres collectives, avec laquelle il crée en 2018 une résidence d'artistes en réhabilitant une bâtisse abandonnée dans une forêt de montagne isolée des Alpes-Maritimes, où il réside une partie de son temps en alternance avec Marseille. Il publie ses premiers textes dans la revue Triages en octobre 2020, et un premier livre, Mihubi, en 2022 aux Editions Unes.
Extraits
" se délite la nuit
comme si se défaire ou voyager était chose
ou de l'eau
s'emporter
d'aube
pâle
le bois
délité
qui revient entre les mœurs la peau pâle et grimée
la gueule serrée par l'alcool
"
*
" rôdent les molosses les tigres les gueules sauvages
qu'on avait cru dresser
affranchis
à l'orée
(Les crocs démasqués brillent)
à l'orée, le monde triomphant, la maison seule, ils tournent
aux frontières
le bois
la maison sans plancher qui se crispe sous le sable
le vide
allumée enroulée dans les vents
dans un cercle fermé aux confluents du bois - rôdent.
"


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