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(Anthologie permanente), Antoine Emaz, Ras ; Boue ; De l'air

Par Florence Trocmé


Antoine Emaz  boueil faudrait un mot comme
vert mais
jaune
des feuilles d’acacia sans vent ou presque traversées plus que baignées par la lumière du soir d’été sans bouger ou même bougeant un peu comme si la lumière faisait bouger plus que l’air le soir
dans un jaune vert donc
un peu comme le triangle du toit
sur la haie des fusains l’autre jour
mais
l’acacia d’un vert moins lisse
pétale plutôt que feuille
LÀ 4 (21.07.00) in Ras, Tarabuste 2001, p. 92
*
se sentir vieux d’un coup
trop
comme si tout le corps
refluait
quelle voix encore
dans la traîne des mots
coques coquilles coquillages
voilà ce qui
reste
pilé très fin
usé jusqu’à poussière
levée par le vent
sable
LAS 4 (14.09.99) in Ras, p. 63
*
c’est assez simple tout ça en somme
comme une cuisine
de peurs et de chocs
dedans
les mots c’est après
bêtement mot à mot
on récupère de quoi
parler
mot à mot bleu à bleu
c’est très lent de
récupérer
assez
SEUL 7 (16.00.00) in Ras, p. 116
*
si on pouvait dans les mots
changer
ce qui est à voir
non
changer non c’est toujours devant
les mots
alors l’œil
si on pouvait bouger l’œil
non
de longs visages gris continuent
de revenir et de passer
très lents
si on tentait de se replier
sans mots
il n’y aurait peut-être plus
rien
NON 3 (2.05. 99) in Ras, p. 23
*
on touille un reste de mots
le juste nécessaire
on a fait le plus dur
bleu risible
on rouille on tousse
on finit par vieillir
c’est plus simple
on l’aura vue venir
l’usure
LAS 3 (14.06.99) in Ras, p. 39
*
les yeux fermés
une sorte de fuite de langue
sans contrôle assez lente
mais continue
sur le même ton
parole seule qui file dévide
on ne sait quel passé
encore sensible
mais sans personne en face
qui puisse saisir
ce qui passe
dans cette bousculade du temps
incapable de rejoindre
on écoute
ce qui ne s’adresse pas
mais doit sans doute être dit
FIN 2 (25.06.99) in Ras, p. 43
*
tout le corps rentré
serré nez cherchant l’air
cage trop courte
tête sur l’évier
à n’en plus vouloir de soi
ou bien boxer les mots
et comme tordre le dehors
l’écraser
le marteler
jusqu’à une bouillie de voir
colère
SEUL 3 (1.12.99), Ras, p. 71
*
Du brouillard tombe, un coton sale bourre les mots.
Peur de ne plus se retrouver. Ne plus pouvoir sortir, rester englué.
Avant la peur, l’épais. On tente de respirer, manier. Ensuite seulement, de l’étouffement, monte la peur ou un passage d’oiseaux sales, ou des chiens.
Sans prise, on dit terre pour ce qui commence au bout de la langue, quand les mots manquent.
On va contre une sorte de falaise molle : en passant, pour finir, on laisse derrière une terre en désordre, ouverte, retournée, sans y croire.
Boue, IV, Deyrolle 1997, p. 25
*
On pourrait croire arriver quelque part, à distance des bavardages comme des mensonges, assez loin après avoir laissé le paquet de paroles, et ne plus voir devant sauf cette espèce d’espace qui bouge dans un reste de mots.
C’est seulement un terrain qui monte, une couche de terre entre la page et les lignes, une épaisseur de sable, assez pour se nicher, s’abriter là.
On entrevoit cela au bord : et tout autour de l’œil, une zone floue trouble, une nuit de pluie.
Plus au centre, le vent va ouvrant des paysages, d’autres ou les mêmes de mémoire, ils s’enchevêtrent, on ne suit plus, le vent continue, on presque dort.
Boue, X, Deyrolle 1997, p. 60
*
corps hangar vide
à la pause de midi
tout le silence
à prendre
presque trop
rien de lyrique

on est juste
sur une carie du temps
on fore
De l’air, Le Dé bleu/L’Idée bleue, 2006, p. 93
choix de Jean-Nicolas Clamanges


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