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Discographie sélective : 1972, havre de paix

Publié le 05 avril 2022 par Storiagiovanna @StoriaGiovanna

1972 semble être un havre de tranquillité si on regarde les hit-parades français. On remarque une grande poussée de la musique folk, mais aussi de la pop sucrée héritière des yéyés. On a l’impression que, soit on se laisse guider dans l’air du temps, soit on se fait chier comme un rat mort. Les hippies semblent avoir rejoint Katmandou et Danièle Gilbert expose les couples les plus gnan-gnan de la chanson française, à savoir Stone et Charden. Dans ce marasme ambiant, deux grands artistes essentiels à mon cœur se révèlent grâce à des premiers albums qui feront date.

A l’international, les différentes cultures musicales sont marquées par la concrétisation de certaines envies de subversions exprimées à la fin des années 1960. C’est dans ce contexte qu’explosent à la face du public David Bowie et Lou Reed. Mis à part ça, les artistes confirmés restent dans leurs acquis des années 1960 et… oui, disons-le clairement, on se fait légèrement chier.

Voici donc ma petite sélection d’albums qui sortent du lot.

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1 – Neil Young – Harvest (février)

Quatrième album solo du folkeux canadien, il intervient après son départ du super-groupe formé avec David Crosby, Stephen Stills et Graham Nash. Pour ce faire, il embauche des musiciens de Nashville lorsqu’il y va pour enregistrer une émission pour le Johnny Cash Show. Le producteur des studios Quadriphonix, Elliot Mazer, essayait de le convaincre de venir enregistrer un album dans ses studios lors d’un dîner. Le soir même, Mazer recrute des musiciens, parfois dans la rue, et la session d’enregistrement débute ainsi. Harvest contient également les participations de James Taylor et Linda Ronstadt, qui étaient également présents au Johnny Cash Show et qui ont enregistré juste après l’émission, ainsi que celles de Crosby, Stills et Nash que Mazer a pu capter à New York.

Harvest est considéré comme un monument de country rock aux Etats-Unis dès sa sortie, mais aussi en France où il reçoit le Grand Prix de l’Académie Charles Cros et où il s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires.

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2 – Nick Drake – Pink Moon (février)

La légende raconte que Nick Drake a enregistré ce troisième album de 28 minutes de nuit et en deux sessions de deux heures tout seul avec sa guitare et son piano. Et qu’ensuite, il a déposé les bandes à l’accueil de la maison de disques de manière anonyme. La vérité est que Nick Drake a bien enregistré de nuit tout seul avec l’ingénieur du son John Wood, mais Island Records avait bien été en contact avec Nick Drake durant tout le processus. Il y avait pourtant une bisbille entre Nick Drake et Island Records : au lieu d’assurer la promotion de Bryter Layter (1970), Drake s’est mis à fumer énormément de cannabis, ce qui, combiné à ses antidépresseurs, le rendait psychotique. Déçu du résultat de Bryter Layter, où sa guitare a été mêlée à une basse et une batterie jazz, Nick Drake ne voulait pour Pink Moon être accompagné que de sa guitare. Si le résultat a beaucoup à Chris Blackwell, fondateur d’Island Records, et aux critiques, le public n’a pas adhéré à l’album. Ca a sonné la fin de la carrière de Nick Drake : enfoncé dans sa dépression, il était retourné vivre chez ses parents. La possibilité d’un quatrième album aurait été envisagée au début de l’année 1974 et cinq titres étaient déjà enregistrés. Malheureusement, Nick Drake, en mourant à 26 ans d’une surdose de médicaments, n’a pas pu voir sa postérité qui s’est construite dans les années 1980.

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3 – Véronique Sanson – Amoureuse (mars)

Premier album de l’autrice-compositrice, il intervient alors qu’elle a déjà enregistré plusieurs 45-tours à la fin des années 1960. Il tire de son inspiration de sa collaboration professionnelle et amoureuse avec Michel Berger, qui était alors producteur et directeur artistique pour la maison Elektra. Les critiques saluent ce début de carrière en argumentant des textes originaux sur des mélodies et des arrangements modernes. Porté par les chansons Amoureuse, Besoin de personne et Bahia – qui furent reprises parfois par Véronique Sanson dans d’autres langues, mais aussi par des artistes comme Shirley Bassey ou Olivia Newton-John –, cet album eut un succès immédiat. Pour ses quarante ans, l’album a bénéficié d’une version enrichie avec les sessions de travail, les versions étrangères des titres et le réenregistrement de la chanson titre en duo avec Fanny Ardant. De surcroît, Jeanne Cherhal a décidé, la même année, de faire une tournée où elle réinterprète l’album en public.

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4 – Bill Withers – Still Bill (mai)

Deuxième album de l’ancien soldat devenu ouvrier, il est dans la continuité de Just As I Am (1971). Malgré le fait que ce premier album ait été accueilli avec beaucoup de succès, il a quand même refusé à l’époque de démissionner de son poste de manutentionnaire, parce qu’il n’avait pas foi en l’industrie musicale. Ce deuxième album, porté par les singles Lean On Me et Use Me, lui a garanti assez de succès pour ne plus penser à sa carrière de manutentionnaire. Globalement, Still Bill a reçu un excellent accueil critique : beaucoup de critiques se sont en effet accordées sur le fait que ce deuxième album était une continuité du premier, mais que Bill Withers avait gagné en assurance et en maîtrise. Cinquante ans après, Lean On Me est devenu un standard de la soul, au point d’être reprise en majorité par des chorales de gospel.

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5 – David Bowie – The Rise And Fall Of Ziggy Stardust And The Spider From Mars (juin)

Après quatre albums naviguant entre pop et sons lourds, David Bowie a décidé de combiner ces deux versants musicaux pour faire un album concept. Il revêt pour ce faire l’un de ses avatars les plus emblématiques, à savoir Ziggy Stardust, un extraterrestre venu donner à la Terre un message d’amour et de paix, mais qui se consume dans les excès. Avec ce personnage, il est à l’initiative avec Marc Bolan de T. Rex de la fondation du glam rock. Alors que Bowie galérait avec ses quatre premiers albums, ce cinquième, porté par le single Starman, une tournée massive au Royaume-Uni, mais surtout un passage remarqué à Top Of The Pops en juillet 1972, a permis de lui faire accéder à la notoriété qu’on lui connaît actuellement. Fort de ce succès trouvé, les concerts accompagnant l’album deviennent de plus en plus fous jusqu’à mettre en scène la fin de Ziggy Stardust le 3 juillet 1973 à l’Hammersmith Odeon.

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6 – Maxime Le Forestier – Maxime Le Forestier/Mon frère (octobre)

Ce premier album, d’abord éponyme, sera renommé Mon frère lors de sa réédition de 1985. Si Bruno Le Forestier – dit Maxime –, a commencé sa carrière en 1965 avec sa sœur Catherine, alors qu’il n’avait que 16 ans, il faut attendre 1972 et son retour du service militaire pour se faire signer chez Polydor. Pour enregistrer cet album, il est entouré de musiciens de jazz, mais aussi de sa sœur Catherine et de Jean-Pierre Kernoa pour composer certaines chansons. Avec des succès apportés avec Mon frère, San Francisco ou Éducation sentimentale, il a pu jouer en première partie de son idole, Georges Brassens, à Bobino en octobre 1972. Rebelle dans l’âme, il s’est ulcéré du prix du billet et a réclamé qu’on limite l’accès au spectacle à 10 francs.

Anecdote personnelle : quand le Mari m’a offert l’intégrale Le Forestier, il a été halluciné de me voir chanter l’album de bout en bout. Preuve que 1. Cet album m’a marquée 2. Cet album est qualitatif.

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7 –  Georges Brassens – Fernande (novembre)

Ce treizième album était un album éponyme, mais comme il était de coutume alors dans les années 1960 et 1970 en France, on appelle l’album du premier titre lors des rééditions. Georges Brassens a alors cinquante ans et vingt ans de carrière derrière lui, on ne va pas dire qu’il faiblit, mais il a acquis un petit rythme de croisière qui lui permet d’influencer durablement la scène française. Bien qu’il commence à vieillir, il remporte encore un succès conséquent avec cet album qui contient des chansons culte telles que Fernande, donc, mais aussi Mourir pour des idées, La ballade des gens qui sont nés quelque part, Quatre-vingt quinze pour cent ou Les passantes. Preuve que même à cinquante piges, Georges Brassens n’avait pas bu assez d’alcool pour embrasser un flic.

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8 – Véronique Sanson – De l’autre côté de mon rêve (décembre)

Deuxième album en moins d’un an pour Véronique Sanson, il est toujours réalisé par Michel Berger. Sauf que la source d’inspiration n’est pas leur amour désormais défunt, mais la rencontre et le coup de foudre de Véronique Sanson pour Stephen Stills. Pour lui, elle compose Une nuit sur son épaule, Comme je l’imagine et De l’autre côté de mon rêve. Alors que l’album n’est pas encore mixé, elle décide de partir aux Etats-Unis vivre son histoire d’amour qui s’est concrétisé avec la naissance de Christopher en avril 1974. L’album contient aussi Chanson sur ma drôle de vie, qui est devenu un hymne suite à Tout ce qui brille de et avec Géraldine Nakache (2010).

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9 – Marvin Gaye – Trouble Man (décembre)

Poussé d’une part par l’immense succès de What’s Going On (1971) qui a conduit à la renégociation de son contrat avec la Motown, et d’autre part par les succès des bandes originales de Shaft par Isaac Hayes et Superfly par Curtis Mayfield, Marvin Gaye décide de repousser le développement de ce qui deviendra You’re The Man (1972/2019) pour s’attaquer à la bande originale du polar de blaxpoitation Trouble Man, réalisé par Ivan Dixon. Le problème étant que, même si la bande originale de ce film est très qualitative, tant le film que l’illustration sonore souffrent de la comparaison avec leurs prédécesseurs. Si Isaac Hayes et Curtis Mayfield ont su mêler soul et funk, problématiques sociales et allusions sexuelles, Marvin Gaye, avec toute la liberté artistique qui lui était allouée à l’époque, a préféré mêler sa soul à des sonorités plus smooth jazz. Alors oui, c’est très sympa à écouter, mais ça n’a pas le piment d’une bande-son canonique de film de blaxpoitation.

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10 – Lou Reed – Transformer (décembre)

Après avoir quitté le Velvet Underground avant la sortie du quatrième album du groupe en 1970, Lou Reed retourne vivre chez ses parents. Mais poussé par le producteur Richard Robinson, il enregistre un premier album éponyme en Grande-Bretagne qui sort plus tôt dans l’année 1972, mais qui n’a pas l’effet escompté. Sur place, il rencontre Mick Ronson et David Bowie qui le motivent pour enregistrer ce qui est devenu Transformer. Avec des chansons comme Vicious, Perfect Day, Satellite Of Love mais surtout Walk On The Wild Side, Lou Reed accède ainsi au statut culte qu’on lui connait, gagne de nouveaux, mais retombe dans des travers de dépendance.

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À bientôt pour de nouvelles aventures musicales.


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